10 Novembre 2018
Jean Rédélé né le 17 mai 1922 à Dieppe, il est le fils d'Emile Rédélé, concessionnaire Renault avenue Pasteur.
Emile Rédélé est un ancien du service course de la Régie, il était le mécanicien de Ferenc Szisz, le vainqueur du Grand Prix de l'A.C.F. 1906 sur une Renault AK.
C'est lors d'un GP qu'il découvre Dieppe et s'y installe après la première guerre mondiale.
Jean Rédélé y passe une enfance heureuse, et après la seconde guerre mondiale, il décroche un diplôme à l'école H.E.C. (Hautes Etudes Commerciales).
Ses études achevées, il reprend la concession familiale qui a beaucoup souffert des années de guerre. Il devient ainsi en 1946, à 24 ans, le plus jeune concessionnaire Renault de France.
En 1950, il participe au Rallye de Dieppe, sa première compétition. Le palmarès du jeune normand va vite s'étoffer avec de nombreuses victoires de classes dans des épreuves routières au volant de 4cv plus ou moins modifiées.
Ainsi, il inscrit son nom au classement des 1000 Milles, du Tour Auto, du Liège-Rome-Liege et surtout de la Coupe des Alpes, victoire qui va l'inspirer à la création de sa propre marque, Alpine.
Durant cette période, il participe également deux fois aux 24 Heures du Mans. Une première fois en 1952 sur une 4cv 1063 officielle qu'il partage avec Guy Lapchin. Après une belle course qui les mène en tête de leur catégorie, la petite Renault surchauffe et ils finissent 17ème et quatrième de leur classe. L'année suivante Rédélé prend part à la course sur une barquette DB. En duo avec Louis Pons, ils doivent abandonner dès la quatrième heure, une des bielles du moteur de 4cv ayant lâchée.
La première Alpine voit le jour en 1954 mais la marque est officiellement lancée l'année suivante.
La dernière participation de Jean Rédélé à une compétition importante à lieu lors des 1000 Miglia 1957, au volant d'une A108MM.
La Berlinette A108 Tour de France sort en 1960 et ne tarde pas à remporter de nombreuses victoires de classes en rallye. La Berlinette A110 apparait en 1963, et grâce à elle, José Rosinski va offrir à la marque sa première victoire au scratch, au Rallye des Lions.
Mais, à cette époque, Jean Rédélé était déjà tourné vers un projet plus ambitieux, construire des Alpine capables de participer aux 24 Heures du Mans.
En bon commercial, Jean Rédélé va faire le forcing auprès de la Régie durant l'été 1962 pour obtenir le nouveau bloc Gordini à cinq paliers et deux arbres à cames en tête issu de la R8.
Renault avait initialement prévu que sa fourniture serait exclusivement réservée à René Bonnet qui vient de créer sa propre marque après sa séparation d'avec Charles Deutsch.
Rédélé joue sur le palmarès de ses Alpine et affirme que sa marque est prête à affronter la course sarthoise avant de faire une demande officielle. L'accord est finalisé en novembre 1962, cinq mois seulement avant les essais préliminaires.
Mais en affirmant à Renault qu'Alpine était prête à disputer les 24 Heures, le normand avait tenté le plus gros bluff de sa carrière, car fin 1962, et même si Jean Rédélé est déterminer à battre René Bonnet, il n'existe rien ou presque du service course d'Alpine.
Le délais restant pour concevoir un châssis étant pour le moins tendus, Jean Rédélé, sur les conseils de Gérard Crombac, contacte Colin Chapman, mais ce dernier, manquant de temps, refuse l'offre et convainc le créateur d'Alpine de se tourner vers Len Terry, l'ancien dessinateur en chez de Lotus et créateur des Terrier.
En octobre 1962, Rédélé propose au pilote-journaliste José Rosinski de prendre la tête du service course d'Alpine.
Mais à cette date, tout reste encore à créer, ou presque.
Le premier homme embauché par le normand pour l'équipe "Alpine-Le Mans" fût en fait Bernard Boyer.
Ancien pilote CD, ce mécanicien auto s'était fait connaitre en en construisant la Sirmac de Formule Junior. Formule dont il fût sacré champion de France en 1961 en pilotant une Lotus de l'écurie Edger.
Mais l'argent manque et Boyer doit mettre sa carrière de pilote entre parenthèses. Il rentre au Moteur Moderne fin 1961 en tant que mécanicien. Il est chargé de construire et de développer les CD-Panhard du Mans 1962. Une fois de plus, c'est sur les conseils de Gérard Crombac que Rédélé embauche Boyer en tant que responsable de la fabrication et pilote essayeur.
Il prend ses fonctions en novembre 1962 et se rend vite compte de la tâche colossale qui l'attend.
Lorsqu'il arrive au Service Course d'Alpine, il débarque dans des locaux vides.
Conscient de ses limites car il ne possède pas de diplôme d'ingénieur, Boyer reprend contact avec un de ses amis, Richard Bouleau, avec lequel il a dessiné la Sirmac quelques années plus tôt.
Lorsque les deux hommes découvrent les plans vendus par Len Terry pour 300 livres, ils comprennent tout de suite qu'ils vont devoir se remettre très vite à la planche à dessin. L'A.C.O. a modifié le règlement concernant la hauteur des seuils de porte pour les 24 Heures du Mans 1963 et le dessinateur anglais n'en a pas tenu compte.
Boyer et Bouleau vont alors modifier le projet initial, le châssis tubulaire étant inadapté.
Ils vont conserver les côtes des voies et de l'empattement définies par Len Terry ainsi que les épures de suspension.
Après un premier essai audacieux mais infructueux s'inspirant des DB monoplaces du Mans intégrant le réservoir à la structure, les deux hommes se remettent au travail.
Pour le second châssis, ils vont s'inspirer de celui de la Berlinette en dessinant un châssis poutre, constitué d'un gros tube central de 12 cm de diamètre prolongé de deux berceaux tubulaires, un à l'avant qui reçoit la crémaillère de direction et les suspensions, l'autre à l'arrière, chargé d’accueillir le moteur central, la boîte et les suspensions.
Ces dernières sont de conception classique, faisant appel à des triangles superposés à l'avant alors qu'un bras remplace le triangle supérieur à l'arrière, deux biellettes de poussée reliant les porte-moyeux lotus en alliage au châssis.
Les combinés ressorts amortisseurs sont de marque Allinquant, le système de freinage à disques est fourni par Girling.
Par manque de temps et par économie, certaines pièces sont empruntées à la gamme Renault : les fusées avant viennent de la R8, La crémaillère de direction de la 4L et la commande de boîte de la 4cv.
Les roues de 13 pouces en magnésium sont fournies par Lotus et sont montées en Dunlop Racing.
Le moteur quant à lui est prêté par Renault. Issu de la R8, Amédée Gordini lui a adapté une culasse double arbre.
Ce quatre cylindres de 996 cm3 est gavé par deux carburateur Weber et développe 95 cv.
Il est accouplé à une boîte 5 vitesses Hewland à carter Volkswagen, déjà éprouvé sur la Lotus 23.
L'embrayage est fourni par Ferodo et les demi-arbres de transmission sont d'origine Lotus.
Le radiateur d'eau est implanté à l'avant avec la roue de secours obligatoire et la batterie, celui d'huile juste devant le moteur.
Lorsqu'il va falloir recruter pour dessiner la carrosserie des "Alpine-Le Mans" qui allaient devenir, petit à petit des M 63 (pour Le Mans 1963), Jean Rédélé se souvint d'un jeune homme croisé quelques années plus tôt lors d'une tentative de record de la SATECMO Eolia (un prototype développée par André George Claude et vaguement dérivé de la 4cv).
Cet autodidacte, dessinateur-projeteur passionné d'aérodynamique et formé sur le tas à l'école de Lucien Romani, c'est Marcel Hubert.
Il intègre Alpine en décembre 1962, dans un premier temps seulement détaché par le B.E.S.T. (Bureau d’Etudes Scientifiques et Techniques, la société de Lucien Romani).
Marcel Hubert a donc pour mission de dessiner la carrosserie en polyester qui va habiller le futur prototype.
Comme Bernard Boyer, il avait travaillé l'année précédente sur les CD du Mans et contrairement à Charles Deutsch et à ses disciples, il essayera de créer un compromis entre entre une bonne finesse aérodynamique et une bonne tenue de route, deux qualités nécessaires à une voiture de course.
Le cahier des charges comprend cependant certaines contraintes. Tout d'abord, Len Terry à définie des voies relativement larges dans le dessin initial. Ensuite Jean Rédélé, qui veut rester fidèle à l'esprit des 24 Heures de sorte que les prototypes préfigurent des voitures de séries, tient à ce que le pare-brise de la Berlinette soit utilisé sur la M 63 (il sera en fait utilisé sur tout les prototypes Alpine de l'époque, jusqu'en 1969, y compris sur les protos 3l).
La carrosserie de la M 63, en forme de goutte d'eau selon une théorie très prisée à l'époque, est étudiée dans la soufflerie Eiffel.
Entre les premiers coups de crayons et les derniers essais en soufflerie sur une maquette au 1/5ème, seulement deux mois vont s'écouler.
Malgré une ligne un peu massive, le travail de "l'aérodynamiteur", comme il est désormais surnommé chez Alpine, est cependant remarquable, les mesures donnent un Cx excellent de 0,15.
Mais les essais préliminaires des 24 Heures du Mans 1963 prévus les 6 et 7 avril approchent et à Dieppe, il faut mettre les bouchés doubles.
Pour ce faire, Bernard Boyer est autorisé à prélever du personnel sur la chaine de production. Ainsi, le chef d'atelier Roger Prieur, le soudeur Martial Valogne, le plasturgiste Denise et Gilbert Harivel vont intégrer temporairement le service course. Selon les propos de Bernard Boyer, chez Alpine, à l'époque, "il fallait se démerder".
La première M 63, #1701, est achevée au soir du 5 avril.
Un essai rapide est effectué autour de l'usine et l'auto est chargée sur un camion, direction le Mans.
Le lendemain, c'est Bernard Boyer qui se charge de lui faire faire ses premiers tours de roues sur la piste mancelle.
Il pleut et ses temps sont peu significatifs.
Sur piste humide, Boyer signe un 5'28" avant de passer le volant à José Rosinski. La piste s'asséchant, le pilote-journaliste descend en 5'09".
Dans son carnet de notes, Bernard Boyer inscrit :"tout bon, sauf en ligne droite".
La mise au point est encore perfectible, la direction laisse à désirer et même si l'auto se montre très rapide en courbe, son manque d'appui la rend très délicates dans les Hunaudières. De plus, le samedi, la M 63 est équipée d'une boîte quatre vitesses dont la commande est aléatoire.
Le dimanche, le beau temps est revenu et une boîte 5 est montée dans #1701. José Rosinski va atteindre 220 km/h dans la ligne droite et signer un excellent 4'40", cinq secondes plus rapide que la meilleures des René Bonnet. Il bat le record de la catégorie 1000 cm3 à 173 km/h de moyenne.
Les trois autres pilotes Alpine, Guy Verrier, René Richard et Henri Grandsire vont se relayer au volant d'une A110.
Mais la Berlinette connait des problèmes de boîte et Grandsire ne pourra faire mieux que 5'25"4.
C'est l'euphorie à Dieppe mais les hommes d'Alpine savent qu'ils leur restent encore beaucoup de travail à faire.
Des essais aérodynamiques sont organisés à Monthléry le weekend des 20 et 21 avril.
Bernard Boyer signe un 4'19" sur le circuit routier, José Rosinski un 4'22". Beaucoup de travail est abattu durant le weekend, mais le comportement de #1701 est toujours délicat à haute vitesse.
#1701 débute en course aux 1000 Km du Nurburgring le 19 mai. Pour l'occasion, Rosinski est associé à l'américain "Lucky" Casner. Les deux hommes vont se classer onzième et remporter leur catégorie.
C'est donc dans les meilleures dispositions que l'équipe Alpine se présente au pesage des 24 Heures du Mans.
Trois M 63 ont été inscrites et contrairement à la liste de l'ACO publiée en mars, les trois voitures sont motorisées avec le 996 cm3.
#1701, avec 601 kg, est la plus légère des trois. Elle va être pilotée par René Richard et le florentin Piero Frescobaldi.
René Richard la qualifie 29ème en 4'42"8 alors que, pour la premières fois aux 24 Heures, les voitures sont rangées au départ en fonction du temps des essais.
Les deux hommes visent l'indice de performance, mais, par sécurité, ils doivent respecter tableau de marche en 4'50", plus modéré que celui de José Rosinski et Bino Heins sur #1702.
Mais dès le second relais, Richard se plaint de l'embrayage. Après un second arrêt, il faut se résoudre à le changer et Frescobaldi repart très attardé. Le florentin pointe 41ème à la troisième heure. #1701 va remonter de dix places mais finira par abandonner à la huitième heure, l'embrayage ayant lâché de nouveau.
Sur #1702, c'est le drame. Après un très bon début de course, le jeune pilote brésilien Bino Heins se tue dans la courbe des Hunaudières.
La troisième M 63, #1703, ne verra pas non plus l'arrivée. Guy Verrier, qui était associé à Bernard Boyer va couler une bielle alors que la voiture était en tête au rendement énergétique, à une heure de l'arrivée.
Au Grand Prix de Reims, le 30 juin, Henri Grandsire classe #1701 onzième alors que José Rosinski prend la neuvième place sur #1703, gagnant sa classe et devançant une René Bonnet.
Les essais effectués à la fin de la saison vont permettre de comprendre les causes du braquage parasite qui affecte les M63. L'absence de barre antiroulis à l’arrière, associée à des suspensions très souples et à grand débattement, provoquait d'importantes variations du parallélisme, impactant directement la tenue de route.
#1701 va participer aux 12 Heures de Sebring début 1964 aux mains de Paul Richards et Charlie Rainville. Elle va se classer 29ème et remporter sa catégorie.
L'auto va ensuite rester aux Etats Unis et faire une belle carrière jusqu'en 1966 grâce à Paul Richards.
Il semble qu'à son volant il ait remporté la classe 1300 à la Speed Week des Bahamas en décembre 1966, victoire qui restera la dernière de #1701.
Pendant presque trente ans, La M 63 #1701 va alors passer sous les radars.
C'est Marc Alexander, connu pour avoir participé aux 24 Heures du Mans 1992 sur le Spider 905 Orion, qui la retrouve, durant l'hiver 1995/96, dans un garage de la petite ville américaine de Bolton, près de Boston aux Etats Unis.
Repeinte en rouge, #1701 est accompagnée d'un lot de pièces, dont certaines, d'après Marc Alexander, provenaient d'une Alpine A 210, et d'un moteur de rechange. Il semble également qu'à ce moment là, #1701 n'est plus motorisée avec son 996 cm3 d'origine, mais avec un 1108 cm3 de type A110 préparé chez Gordini (changement effectué à priori en septembre 1964) identique à celui qui équipait la "Sauterelle" du Mans 1965.
Marc Alexander rapatrie l'auto et les pièces en France.
Hitoshi Kato lui rachète la M 63 durant le salon Rétromobile 1996.
Concernant les pièces détachées et le second moteur, il semble que ce soit Mr Buisson, qui courait à l'époque sur la M 63B #1708 en VEC, qui s'en soit porté acquéreur.
La première Alpine d'Endurance est ensuite partie au Japon, et Hitoshi Kato n'a eu de cesse depuis de la restaurer et de la remettre dans sa configuration d'origine.
La première M 63 est l'une des vedettes du musée Alpine qu'il a depuis ouvert au Japon, avec entre autre, une des première monoplace de la marque et la Berlinette 1300 ex-usine avec laquelle Vinatier et Orsini avaient fait second de leur classe à la Targa Florio 1966. Il l'inscrit également très régulièrement au Mans Classic.
-10 ème des Essais d'Avril des 24 heure du Mans 1963 avec José Rosinski et Bernard Boyer. |
-11ème et victoire de classe aux 1000 Km du Nurburgring 1963 avec José Rosinski et Lloyd "Lucky" Casner. |
-Abandon aux 24 Heures du Mans 1963 (embrayage, 8ème heure) avec René Richard et Piero Frescobaldi |
-11ème au Grand Prix de Reims 1963 avec Henri Grandsire |
-29ème des 12 Heures de Sebring 1964 avec Paul Richards et Charlie Rainville |
-2ème en classe GM au SCCA National Bridgehampton 1964 avec Paul Richards |
-3ème et victoire de classe au SCCA Interclub Bridgehampton 1964 avec Paul Richards |
-10ème au Bridgehampton 500 Km 1964 avec Paul Richards et John Norwood |
-Abandon mais classée 38ème au Nassau Tourist Trophy 1964 avec Paul Richards |
-6ème des Préliminaires du Nassau Tourist Trophy 1964 avec Paul Richards |
-16ème et victoire de classe au Gouvernor's Trophy 1964 avec Paul Richards |
-17ème au Nassau Trophy Race 1964 avec Paul Richards |
-Non Classée aux 2000 Km de Daytona 1965 avec Paul Richards et Ed Wilson |
-5ème et victoire de classe au Bridgehampton 500 Km 1965 avec Paul Richards |
-10ème et victoire de classe au Nassau Tourist Trophy 1966 avec Paul Richards |
-23ème et victoire de classe au Nassau Trophy Race 1966 avec Paul Richards |
Toutes les photos illustrant cet article on été prises durant les éditions 2010 et 2016 du Mans Classic.
Sources : Christian Moity, Les 24 Heures du Mans 1949-1973 ; François Hurel, Alpine au Mans 1963-1995 ; Gérard Crombac, Alpine, 7 ans d'endurance le Fanauto 1987, Interview de Bernard Boyer, Sport Auto, Juin 1970.
Pour finir, un très grand merci à Marc Alexander pour les informations précieuses qu'il m'a fournies et qui m'ont permis de finaliser cet article.