18 Novembre 2018
L'histoire publique de la XJ 13 ne commence en qu'avril 1971.
C'est en effet lors du Salon de New York, pour la présentation officielle de la Type E série 3 à moteur V12 que l'existence de ce prototype est révélée.
A cette occasion, il sert de support publicitaire par le biais d'un film qui tourne en continu sur le stand où on le voit évoluer sur la piste du Motor Industry Research Association (M.I.R.A.) à Nuneaton, le légendaire pilote d'essais Jaguar Norman Dewis à son volant.
L'idée est simple, légitimer le passage du 6 cylindres XK au V12 sur la type E.
Les images datent du 20 janvier 1971, mais la vérité sur ce qui s'est réellement passé ce jour là ne sera révélée que bien plus tard.
L'idée d'associer deux moteurs XK autour d'un même vilebrequin n'est pas nouvelle chez Jaguar. Elle date en fait de 1954 où il avait été envisagé d'équiper certaines des nouvelles Type D d'un V12 4l pour contrecarrer les "grosses" Ferrari.
Le projet ne dépassera cependant pas le stade de la planche à dessin à cette époque et la Type D conservera le 6 cylindres toutes sa glorieuse carrière.
Ce n'est qu'en 1963 que le projet est ressorti des cartons.
Cette année là, Jaguar rachète Coventry Climax.
De fait, les ingénieurs Walter Hassan et William Haynes rejoignent Harry Mundy et Claude Baily au bureau d'étude de Jaguar.
L'étude du moteur est revue en profondeur. Initialement envisagée à 4l, la cylindrée est poussée à 5l.
L’architecture du XK avec deux arbres à cames par banc de cylindres est globalement conservée mais le moteur est équipé d'une injection directe mécanique. L'utilisation d'alliages d’aluminium permet de conserver un poids inférieur à 300kg. La distribution par chaîne est conservée.
Le moteur tourne au banc dès la fin de l'année 1963 et sa puissance est estimée aux alentour de 560 chevaux à 8600 tours.
Une version tourisme à carburateur semble avoir été également étudiée.
De premiers essais décevants.
Les essais ne commencent finalement qu'en mars 1967 sur la piste du MIRA.
Pour tromper les éventuels curieux, la voiture roule en alternance avec la E2A du Mans 1960 repeinte en vert.
C'est Norman Dewis, le célèbre pilote d'essais Jaguar qui a mis au point tout les fauves de Coventry depuis 1952, participé au Mille Miglia la même année, aux 24 Heures du Mans 1955 après avoir roulé seulement aux essais en 53 et 54, qui est chargé du développement de la XJ 13.
Très vite Dewis met en évidence des problèmes de stabilité à haute vitesse.
La boîte n'est pourtant étagée que pour atteindre 280 km/h au lieu des 350 prévus initialement. Il semble que la belle carrosserie dessinée par Malcolm Sayer manque cruellement d'appui, pire encore, l'avant à une fâcheuse tendance au délestage passé 200 Km/h.
Le freinage est également problématique et des vibrations importantes apparaissent dans les trains roulants, beaucoup de travail reste donc encore à faire.
Les essais se poursuivent durant le printemps, mais le comportement de la XJ 13 reste problématique.
Dès le lendemain des 24 Heures du Mans 1967, la CSI, apeurée par les performances des Sport Prototypes 5l, annonce la limitation de leur cylindrée à 3l dès 1968.
Le projet XJ 13 devient d'un coup caduque et les derniers espoirs des hommes du département expérimental de voir Jaguar retourner à la compétition à court terme s’envolent.
La voiture est stockée sous une bâche, à l'usine, et elle va y rester pendant quatre ans.
Un félin malchanceux.
Début janvier 1971, "Lofty" England, qui vient d'être nommé à la tête du directoire de Jaguar, décide que la XJ 13 va participer au lancement de la nouvelle Type E V12.
Le 20, la voiture est convoyée jusqu'à la piste du MIRA pour le tournage d'un court-métrage publicitaire.
C'est Norman Dewis qui est chargé de la conduire.
Les mécanos lui conseillent de se méfier car la gomme des Dunlop Racing semble avoir durcie et être devenue cassante.
Une fois au volant, le légendaire pilote d'essais oubli les consignes de prudence, il augmente le rythme au fil des tours.
Le pneu arrière droit éclate à plus de 200km/h et lorsque la jante touche le sol, elle explose littéralement, envoyant l'auto dans une impressionnante série de tonneaux.
Elle finie par s’arrêter au centre du circuit d'essais, dans un espace fraîchement labouré.
Norman Dewis est extrait miraculeusement indemne de la voiture qui semble irrémédiablement perdue et ne ressemble plus qu'à un amas de tôles froissées.
L'épave de la XJ 13 retourne sous sa bâche.
Deux ans plus tard, dans la cour de l'usine de Radford, les gabarits qui avaient servi à la conception de sa coque et de sa carrosserie sont retrouvés par hasard.
Lofty England donne alors le feu vert à sa reconstruction, probablement comme un modèle statique.
Mais il s'avère que la structure a plutôt bien résisté et que l'auto n'est pas aussi abîmée qu'il y parait.
Les jantes arrières, dont le moule à disparu, sont refabriquées par une filiale de British Aerospace qui s'occupe habituellement des trains d'atterrissage du Concorde.
La XJ 13 va longtemps orner l'entrée de l'usine de Coventry.
Elle est devenue depuis un des bijoux de la Collection Daimler Jaguar Heritage.
Elle participe à ce titre a de nombreux meetings historiques au grand bonheur des amateurs qui, comme moi, la trouve fabuleuse.
Toutes les photos de la XJ 13 ont été prises lors de l'édition 2016 du Mans Classic, celle de Norman Lewis à l'occasion du Salon Rétromobile 2018.
Sources: Paul Badré, Voitures de course; Interview Norman Dewis, BBC 2006; historique de la collection Daimler Jaguar Heritage.