2 Décembre 2018
Je vais vous parler aujourd'hui de la naissance d'une des plus glorieuses écuries françaises, Ligier.
Comme souvent, c'est avant tout une histoire d'Hommes, et surtout ici celle de Guy Ligier, qui fera toujours ce qu'il faut pour mener à bien ses rêves. Et des rêves, il en avait des grands....
Guy Ligier né le 12 Juillet 1930 à Vichy dans l'Allier.
Il connait une enfance compliquée, marquée tout d'abord par le décès de ses parents à l'âge de sept ans.
Élevé par ses grands-parents, son adolescence est marquée par la guerre. En effet, dès le 10 juillet 1940, sa ville natale, bien qu'en zone libre, devient le siège du gouvernement dirigé par Philippe Pétain et restera sous tensions pendant quatre ans.
Le jeune Guy se réfugie dans le sport qu'il pratique de façon intensive.
Il décroche son certificat d'étude à quatorze ans et entame un apprentissage de boucher.
Trois ans plus tard, son acharnement sportif paye, puisqu'il est sacré champion de France d'aviron dans sa catégorie.
Parallèlement, il commence à avoir un bon niveau en rugby à XV qui lui permet de jouer en Equipe de France B et, lors de son service, en Equipe de France militaire.
Mais de nombreuses blessures vont finir par avoir raison de sa hargne.
Son besoin de compétition le pousse vers la moto à la fin des années 50. Il devient champion de France "Inter" en en 500 cm3 lors des saisons 1959 et 1960.
Pour financer sa nouvelle passion, il commence à travailler en tant qu'entrepreneur dans le bâtiment, il débute en louant une pelleteuse qu'il finit par racheter avec l'argent de son premier titre moto.
C'est a cette époque que le bourbonnais commence à montrer toutes ses qualités d’entrepreneur. Le jeune homme, qui approche la trentaine, se lie d'amitié avec le maire de Vichy Pierre Coulon.
Ces rapports de copinage vont lui permettre de travailler dans de nombreux domaines, construction de ponts, d'autoroutes, de barrages. Petit à petit, la "Ligier Travaux Publics" prospère et va compter jusqu'à 1200 employés et 500 engins de chantiers.
L'ancien rugbyman ne connait plus de soucis d'argent et se lance sur quatre roues en 1961. Mais sa première saison en Formule Junior est un fiasco. Son Elva manque cruellement de fiabilité et il ne participe même pas aux dernières courses du championnat.
Ses responsabilités et le développement de son entreprise prennent alors le dessus et il met sa carrière en sommeil.
Mais la passion va être trop forte et, en 1963, il reprend la compétition sur une Porsche 356 Carrera avec quelques beaux résultats.
L'année suivante, il participe à ses premières 24 Heures du Mans sur la Porsche 904 GTS d'Auguste Veuillet qu'il partage avec Robert Buchet. Les deux hommes vont finir à une belle septième place et Ligier va alors se lancer à fond dans le sport automobile.
Durant cette semaine mancelle, il va rencontrer un autre costaud, lorrain celui là, qui coure sur une GT40 officielle, Jo Schlesser.
Les deux hommes sont sur la même longueur d'onde et leur amitié va être franche et immédiate.
En 1965, Schlesser permet à Ligier de rentrer dans l'écurie Ford France, il participe de nouveau aux 24 heures sur un spider GT40 qu'il partage avec le vétéran Maurice Trintignant. Mais la boîte va lâcher dans le courant de la deuxième heure ne lui permettant pas de prendre le volant.
La même années, pour le compte de Ford France, Schlesser et lui roulent en F2 sur des Brabham et participent régulièrement à des épreuves d'Endurance.
En fin de saison, Guy Ligier négocie un budget pour l'année suivante avec un des principaux fournisseurs de son entreprise, BP. La généreuse enveloppe du pétrolier anglais va lui permettre de débuter en Formule 1 sur une Cooper T81 Maserati. Mais la monoplace n'est pas au niveau et malgré cinq Grand Prix disputé, il ne marque aucun point.
Pire encore, il est victime d'une violente sortie de piste lors des essais du Grand Prix d'Allemagne. Les médecins envisagent de l'amputer mais Jo Schlesser le rapatrie en France dans un hôpital où lui même avait séjourné et Ligier se remet.
Il se remet tellement bien qu'en fin de saison, il est sacré Champion de France des Rallyes en catégorie GT, Sport et Sport Prototype grâce aux bon résultat qu'il a eu lors des épreuves sur circuit au volant d'une Mustang Shelby 350GT et d'une GT40.
Au mans, associé à Bob Grossman sur la GT40 Ford France, ils abandonnent à la 16ème heure sur bris de transmission.
En 1967, toujours financé par BP, il renoue avec la F1 sur une Brabham BT20 Repco. Il va disputer sept G.P. à son volant et prendre sa revanche sur le sort en terminant sixième et en marquant le seul point de sa carrière en F1 au G.P. d’Allemagne.
Parallèlement, il continue sa carrière en Endurance avec Jo Schlesser pour le compte de Ford France. Au Mans, ils abandonnent lorsque le lorrain est impliqué dans l'accident des Ford au cœur de la nuit.
Ils vont remporter quelques semaines plus tard une très belle victoire aux 12 Heures de Reims sur une Mk IIB.
Mais en 1968, le budget Ford est en baisse et Ford France arrête ses activités en circuits.
Schlesser et Ligier vont alors s'associer à José Behra, le frère de Jean, et créer l'écurie Intersports.
Ils vont sillonner les circuits français au volant de McLaren de Formule 2. Mais la nouvelle création du néo-zélandais est plutôt mal née et manque de fiabilité.
Pour l'écurie, ils rachètent un autocar Saviem S45 et le transforment en camion atelier. Il sera surnommé "Brutus" et restera jusqu'aux débuts de l'écurie Ligier F1.
Désabusé par le fait d'avoir, une nouvel fois, acheté des voitures qui ne leurs permettent pas d'exprimer leurs talents, Jo Schlesser émet l'idée que les deux hommes pourraient construire leur propres autos. Mais la saison avance et l'idée reste en suspend.
Le solide lorrain est contacté par Honda pour le G.P. de France de Formule 1, il doit débuter dans cette discipline sur la seconde monoplace du constructeur japonais. A quarante ans, il accède enfin à un rêve, mais le cadeau est empoisonné. La Honda RA 302 est une mauvaise F1 et le pilote de pointe de l'écurie, John Surtees, se refuse à la piloter en course, la considérant dangereuse avec sont châssis en magnésium.
Le Grand Prix se déroule sur le circuit de Rouen les Essarts. Au troisième tour, Schlesser perd le contrôle de la Honda sur une piste mouillée, la voiture se retourne et s'embrase immédiatement. Le lorrain péri dans l'incendie.
Guy Ligier est très marqué par la mort de son ami et met un terme à sa carrière en monoplace en fin de saison.
En hommage à Jo Schlesser, il décide, peu de temps après l'accident, de faire du rêve qu'il avait en commun avec son alter-ego une réalité. Il va devenir constructeur automobile et ses créations porteront toute l'appellation JS, la plus belle marque de respect qu'il pouvait montrer envers son copain décédé.
En cette fin 1968, un jeune ingénieur de la S.E.R.A. C.D., Michel Tetu commence peu à peu, à s'ennuyer au sein du bureau d'étude de Charles Deutsch.
Lui qui a participé à l'élaboration des châssis des "Poissons Volant" en 1964 et des SP66 de 1966 et 67 ne se trouve plus à sa place dans une entreprise qui ne vit plus la course automobile qu'en tant que consultante.
Guy Ligier le contacte et lui fait part de son intention de produire une petite GT capable de rivaliser avec les Alpine et autres Matra. Le Jeune ingénieur est emballé par le projet et rejoint les Automobiles Ligier.
Pour mettre toutes les chances de son coté, Guy Ligier a cédé les part de sa société de travaux publics à un de ses associés.
Michel Tetu dessine un châssis poutre associé à un berceau tubulaire avant qui supporte les suspensions à double triangulation et la direction, et un autre berceau tubulaire à l'arrière qui va soutenir le moteur installé en position centrale arrière, les suspensions et la boîte de vitesse. L'ingénieur n'a pris aucun risque, dessinant un châssis léger utilisant l'aluminium et le polyuréthane mais restant classique dans sa conception en cette fin des années 60.
Coté moteur, pour des raisons d'économie dans un premier temps, la petite berlinette va être équipée d'un Cosworth 1600 DFA, dégonflé à 200 cv, et probablement issue du stock de l'écurie Intersports. Le DFA est associé à une boîte Hewland à cinq rapports. Le tout doit être ralenti par quatre freins à disques.
L'étude aérodynamique est confiée à Petro Frua qui dessine un petit coupé très compact, aux lignes tendues et aux portes-à faux avant et arrière réduits. Comme pour le châssis, le design de celle qui s'appelle désormais JS1 est bien dans l'esprit de son époque.
Le petit coupé est très compact avec ses 3,90m de long pour 1,70m de large et 1,02m de haut.
Dans sa première version, son poids est donné pour un peu moins de 700 kg.
Le premier châssis, la JS1 #01 est présentée au public en octobre 1969 lors du Salon de Paris. A l'occasion de la conférence de presse, c'est un Guy Ligier fier du travail accompli mais également ému qui explique aux journalistes présents, le pourquoi des initiales que porte sa création.
Dès le 23 novembre, Guy Ligier engage la JS1 au Critérium des Cévennes avec Michèle Dubosc comme copilote.
Ils vont vite abandonner suite à une rupture d'un des supports moteur.
Début mars 1970, la JS1 #01 refait son apparition lors de différentes manches françaises du Championnat Européen Sport Prototype 2 litres. C'est Guy Ligier qui pilote et il gagne dès sa première sortie à Albi, mais abandonne une semaine plus tard à Nogaro.
La voiture est désormais équipée d'un 1800 FVC préparé par le suisse Heini Mader et qui développe 235 cv.
Le second châssis, JS1 #02 apparait lors des essais du Mans, le 12 avril 1970.
Comme le #01, il est motorisé par un Cosworth FVC mais Michel Tetu a travaillé sur le châssis, l'équipant d'un troisième amortisseur transversal et réglable, à l'avant et à l'arrière, faisant office de barre anti-roulis.
Pour l'occasion, Ligier s'est offert les services de Jean-Claude Andruet, sans volant en Endurance depuis le retrait d'Alpine. "La Panique" va signer le septième temps du weekend, ce qui est plutôt prometteur pour les 24 Heures.
Avant les 24 Heures, Guy Ligier continue de rouler en Championnat 2 Litres avec le #01, alternant les bons résultats et les abandons dus à des problèmes de jeunesses.
Ainsi, le 19 avril, il abandonne au Paul Ricard suite à des problèmes de boîte, le 26 avril, il gagne aux Coupes de Vitesse à Monthléry et le 3 mai, il fini troisième à Magny-Cours.
Pour préparer le Mans, Jean-Claude Andruet va participer également le 19 avril à au Trophée Paul Ricard avec le #02. Comme Ligier, il abandonne.
Le 9 Juin débute la semaine des 24 Heures du Mans.
Le petit coupé rouge va passer le pesage sans difficulté et aux essais, Andruet va signer un 4'03"400 plaçant la Ligier au 30ème rang.
C'est Guy Ligier qui va prendre le départ. La petite française roule comme une horloge et boucle les deux premières heures au 29ème puis au 28ème rang.
Jean-Claude Andruet prend le relais juste avant l'orage et va faire des merveilles sous la pluie, en fin de troisième heure, il a gagné cinq places et pointe au 23ème rang.
Ligier le relaye et gagne encore deux places durant l'heure suivante.
Andruet reprend le volant alors que la pluie redouble et, grâce au rallyman, la petite rouge tourne dans les temps des trois litres, mieux encore, elle remonte sur elles. Lorsqu'il passe le relais à Ligier, peu avant 21 heure, la JS1 est 18ème.
La météo semble vouloir se calmer et la Ligier est toujours aussi performante.
Pourtant, à 21h12, Guy Ligier oblique sur la droite juste après avoir passé les stands. Les mécanos accourent mais la JS1 ne repartira pas. C'est l'arbre de commande du distributeur qui a cassé et l'abandon est officialisé à la huitième heure.
Pendant l'été, #01 et #02 vont être très largement modifiées pour recevoir le V6 de la nouvelle Ford Capri 2600 RS en vue de participer au Tour de France Automobile fin septembre.
Les châssis sont rallongés de 25 cm et la boîte Hewland remplacée par une boîte de Citroën SM inversée.
Dans cette configuration, la JS1 avoisine les 790 kg, mais le surcroit de puissance compense largement.
Le châssis #01 est confié à Jean Vinatier et Guido Jacob, son moteur a reçu une préparation spécifique et il est équipé de culasses Weslake. Malheureusement, victime d'une surchauffe dès la première étape, la voiture abandonne.
La seconde JS1, la #02 est confiée à Jean-Claude Andruet et José Behra, Elle est équipé de la version "standard" du 2600 RS, mais n'ira pas beaucoup plus loin, le moteur cassant dès la seconde étape.
La carrière en course de la JS1 vient de s'achever.
Un troisième châssis a été produit, mais ne semble pas avoir couru.
Les premières Ligier produites vont, peu à peu, être oubliées, presque disparaitre.
Ce n'est qu'en 1999 que la JS1 #02, tout du moins sont épave, est retrouvée sous un olivier, dans une propriété du sud de la France.
Après cinq ans d'une minutieuse restauration, elle est présenté lors du salon Rétromobile 2004 et participe depuis à quelques courses de véhicules historiques. C'est, semble-t-il à ce jour, la seule des trois JS1 ayant survécu.
-7ème des EssaisPréliminaires des 24 heures du Mans 1970 avec Jean-Claude Andruet et Guy Ligier. |
-Abandon au Trophée Paul Ricard 1970 avec Jean-Claude Andruet. |
-Abandon à la huitième heure aux 24 Heures du Mans 1970 (distribution) avec Jean-Claude Andruet et Guy Ligier. |
-Abandon lors de la deuxième étape au tour de France 1970 (moteur) avec Jean Claude Andruet et José Behra. |
Toute les photos illustrant cet article ont été prise lors du Mans Classic 2016.
Sources : Guy Ligier, Renaud de Laborderie et Jean-Pierre Gosselin ; La Formule 1 Française, C. Caillet et J. Kargayan ; Sport Auto juin et juillet 1970, Gérard Crombac ; Sport Mécanique Juillet 1970, Christian Moity ; Les 24 heures du Mans 1949/73, Christian Moity.