1 Avril 2019
Suite ce soir des débuts d'Alpine lors des 24 Heures du Mans 1963.
Je vais utiliser comme support des photos d'une auto recrée par Jean-Paul Humbert et Bernard Balzeau, la M63 originale ayant été détruite durant cette course.
Après des débuts encourageants avec la M63 #1701 lors des Essais d'Avril des 24 Heures du Mans 1963 et une belle onzième place le 19 mai lors des 1000 Km du Nürburgring qui apporte à l'équipe Alpine la victoire de classe, trois voitures sont présentées au pesage.
#1701, la plus légère avec 601 kg sera pilotée par René Richard et Piero Frescobaldi.
#1702, aux couleurs brésiliennes et portant l'inscription "Equipe Interlagos Alpine" sur ses ailes avant sera la voiture de pointe.
Elle va être confiée au pilote journaliste José Rosinski et au revenant "Bino" Heins.
Pour finir, #1703 qui sera pilotée par Bernard Boyer et Guy Verrier, avec une préparation spécifique pour viser l'indice au rendement énergétique.
Il semble que les deux nouvelles M63 apparues au Mans aient été achevées durant les derniers jours du mois de mai, soit seulement deux semaines avant la course.
Comme deux des René Bonnet Aérodjet concurrentes, et contrairement à ce qui avait été annoncé sur les fiches d'engagement du mois d'avril, les trois Alpine sont motorisées par le quatre cylindres 996 cc double arbre Renault-Gordini qui développe environ 95 cv.
Né à Sao Paulo le 16 janvier 1935 d'un père entrepreneur et d'une mère d'origine italienne, Christian "Bino" Heins est initié au pilotage par son grand père maternel.
Sa formation de pilote a lieu à Stuttgart dans le cadre de cours pour étrangers proposés par Mercedes.
Il débute sa carrière à 19 ans et ses performances au volant lui valent le surnom de "Comet".
Il est, à l'époque, un des rares pilotes brésiliens à s'illustrer en Europe et coure régulièrement des deux côtés de l'Atlantique, s'illustrant, notamment, à plusieurs
reprises dans la version brésilienne des Mille Miles.
En 1958, il remporte les 10 Heures de Messines sur une Porsche 550 RS avant de finir 8ème du Tourist Trophy en compagnie de Carel Godin de Beaufort.
L'année suivante, il est victime d'un spectaculaire accident lors du Grand Prix Sport de Spa. Sa Porsche 718 RXK se retourne et glisse alors qu'il est coincé à l'intérieur.
Le brésilien s'en sort avec quelques contusions et s'aligne un mois plus tard aux 1000 Km du Nürburgring où il fini 11ème avec Helmut Busch.
Il coure les 24 Heures du Mans 1959 sur une 718 RSK avec Carel Godin de Beaufort mais le moteur de la Porsche va rendre l'âme et provoquer leur abandon.
En 1960, il retourne au Brésil et devient pilote officiel F.N.M. (Fabrica Nacional de Motores), remportant de nombreux succès avec la JK 2000 lors des épreuves nationales jusqu'en 1962.
A la même époque, Jean Rédélé passa un accord avec la société Willys Overland do Brasil qui produisait des Renault Dauphine sous licence depuis 1959.
A partir de 1962, Wyllis va construire une version brésilienne de l'A108, qui, pour l'occasion, va être renommée Interlagos en référence au circuit situé dans la banlieue de Sao Paulo.
En grande partie, les royalties et la vente d'outillage générés par cet accord vont permettre à Alpine de financer son programme Le Mans.
Christian Heins, qui avait décidé de prendre sa retraite, pris la tête du service course de Willys.
Mais Jean Rédélé, en fin commercial, décida de profiter de la participation d'Alpine au Mans pour promouvoir cette association dans une épreuve internationale et invita celui qui était considéré comme le meilleur pilote brésilien du moment à venir piloter une des M63.
En l’absence des Abarth officielles et des A.S.A., Les Alpine ne vont avoir pour vraies rivales que les René Bonnet lors de cette édition 1963 des 24 Heures du Mans.
Comme nous l'avons vu, #1702 et #1703 avaient à peine roulé avant le pesage.
Sagement, leurs pilotes vont se contenter de les "rôder", la plus rapide des trois étant finalement #1701 avec laquelle René Richard va signer un excellent 29ème temps en 4'42"800.
Pour la première fois au Mans, ce sont les temps des essais qui vont définir la grille de départ.
L'Aérodjet LM6 le plus rapide, celui de Jean Rolland et Jean-Pierre Manzon est repoussé à presque huit secondes pleines.
Sur #1702, sans forcer, José Rosinski va signer un 4'51"400 qui va placer la voiture au 33ème rang.
Enfin sur #1703, Bernard Boyer roule en 5'01"700 qui donne la quarantième place au départ à la dernière M63.
Suite à un tirage au sort, c'est José Rosinski qui prend le départ.
En douceur, la français arrive dès les premiers tours à tourner aux alentour de 4'40", dix secondes plus vite qu'aux essais, et plus rapidement que la tableau de marche prévu.
Il remonte au 26ème rang et s'y maintient lors de la seconde heure, prenant la tête à l'indice de performance au moment des premières ravitaillement pour les voitures de tête.
Chez René Bonnet, un des AéroDjet est perdu dès la première heure, celui de Jean Vinatier et Gérard Laureau étant parti en tonneau dans la descente de la Chapelle.
Rosinski, surpris, arrive même à suivre le rythme des Porsche Carrera GT, dont la cylindrée est deux fois supérieure.
La M63 n°48 est chronométrée à 232 Km/h dans les Hunaudières, et José Rosinski gagne encore deux rangs avant son arrêt.
Il passe le relais à "Bino" Heins peu avant la fin de la troisième heure.
Le brésilien repart troisième à l'indice mais va récupérer son bien lorsque les Ferrari de Parkes/Maglioli et Surtees/Mairesse s'arrêtent.
Heins roule fort et va descendre le meilleur temps des M63 en 4'33"400 remontant au 23ème rang à la fin de la quatrième heure.
Mais vingt minutes plus tard, un drame va se jouer à la sortie de la courbe des Hunaudières.
Bruce McLaren explose le moteur de son Aston Martin DP214 et l'huile se répand sur la piste.
Ninian Sanderson, qui suit sur une Cobra et Mike Salmon sur une Ferrari 330 LMB évitent la flaque mais Roy Salvadori sur la Type E Lightweight Cunningham, part en travers.
La Jaguar se retourne et prend feu, dans le choc, Salvadori est éjecté.
Jean-Pierre Manzon sur l'Aérodjet n°52 ne peut éviter l'épave et la René Bonnet obstrue la piste lorsque Heins surgit.
Il tente de passer à gauche mais glisse et heurte l'Aérodjet.
La M63 quitte la piste et va se fracasser contre un poteau télégraphique avant de prendre feu et de se retourner.
Personne ne pourra sauver le pauvre pilote brésilien prisonnier du brasier.
L'Alpine sera entièrement détruite.
Salvadori et Manzon seront conduits à l’hôpital du Mans et se remettront de leurs blessures.
Dans le courant des années 2010, la M63 #1702 va être patiemment et minutieusement recrée par Jean-Paul Humbert et Bernard Balzeau.
Étonnamment, cette M63 n'est donc pas née à Dieppe, mais à Romorantin-Lanthenay dans les ateliers de l'E.P.A.F. (Entretient du Patrimoine Automobile Français).
Il semble que cette recréation ait été réalisée à la demande de Jean-Charles Rédélé qui serait le propriétaire de la voiture.
Les photos illustrant cet article ont été prises lors des éditions 2016 et 2018 du Mans Classic et lors des Classic Days 2018 à Magny Cours.
Sources : Christian Moity, Les 24 Heures du Mans 1949-1973 ; François Hurel, Alpine au Mans 1963-1995 ; Gérard Crombac, Alpine, 7 ans d'endurance le Fanauto 1987 ; Les infos concernant la recréation de la M63 #1702 ont été fournies par le Forum Alpine Renault.