15 Avril 2019
Lors de l'inter-saison 1967/68, Len Bailey dessina pour le compte du Alan Mann Racing une des plus belles Sport-Prototypes des années 60. Malheureusement, dans cette époque de recherches et de tâtonnement sur le plan aérodynamique, les autos les plus belles n'ont pas toujours été les plus efficaces. Tout du moins, c'est ce que l'Histoire a malheureusement retenu d'elle.
Leonard Bailey né le 25 juillet 1926.
Adolescent passionné de technique et d'automobile, il entre à 16 ans, en 1942, comme apprenti chez Austin.
Mais en cette période troublée, la firme de Longbridge ne produit pas de voiture.
Réquisitionnée par la R.A.F., Austin construit des bombardiers lourds quadrimoteurs Short Stirling dans le cadre de l’effort de guerre. Qu'à cela ne tienne, pendant deux ans, le jeune homme va se forger une solide expérience dans l'utilisation des matériaux aéronautiques.
La guerre finie et ayant décroché brillamment un diplôme d'ingénieur, il va faire ses armes chez Daimler, puis chez Rover à Coventry.
Il retourne chez Austin, au département du développement des moteurs,juste avant que la marque ne soit intégrée au congloméra British Motors Corporation (B.M.C.).
Lassé des impératifs économiques et autres restructurations qui marquent l'industrie automobile anglaise dans les années 50, il décide de s'expatrier et part aux Etats Unis en 1956.
Durant l'été, il est embauché par American Motor Corporation (A.M.C.) pour concevoir un nouveau V8, la fourniture des V8 Packard étant devenue trop coûteuse pour la marque de Southfield.
L'industrie américaine est florissante et une opportunité se présente chez Ford. Il s'installe à Dearborn en 1958, travaillant également à la conception de moteur de série.
C'est dans ce cadre qu'il va être repéré par Roy Lunn qui lui fait intégrer le Service Expérimental de la FO.MO.CO.
Le talent et l’éclectisme de Len Bailey vont alors s'épanouir.
Il va travailler sur des prototypes et développer des turbines pour le compte de Ford. Le point d'orgue de ses années à Dearborn étant, sans aucun doute, sa participation à l'équipe de conception du projet Mustang 1 en 1962, qui va profondément faire évoluer les orientations de la marque américaine dans les années à venir.
En 1963, missionné par Ford, il retourne en Angleterre pour intégrer la toute nouvelle Ford Advanced Vehicles Ltd et faire partie de l'équipe qui va concevoir la Ford GT40.
Il occupe le poste de dessinateur en chef, mais concrètement il accompagne Eric Broadley dans la traduction des idées qu'il avait développer lors de la construction de la Lola Mk6 pour les appliquer à la GT40.
Petit à petit, Bailey va devenir responsable de l'ingénierie des châssis, de la carrosserie, et de la construction des nouvelles Ford GT et apparaitre, en filigrane, lors de toute la montée en puissance de Ford vers sa victoire au Mans.
Pourtant, en 1966, il quitte Slough pour s'installer à Byfleet, dans le Surrey, pour intégrer le Alan Mann Racing, il est cette fois missionné par Ford U.K..
Le préparateur anglais travaille à développer différentes versions allégées de la GT40.
Len Bailey va concevoir une version très avancée de cette "lighweiht", mais cette évolution ne dépassera pas le stade de la maquette, tout du moins en 1966 chez Alan Mann, l'écurie anglaise étant intégrée au développement du programme des Mk II 7 litres.
Parallèlement, il dessine également une barquette pour le compte de Holman et Moody et destinée à courir en Canam, la Honker II qui est achevée fin 1966.
En 1967, son projet inabouti d'évolution de la GT40 est racheté par John Wyer et va devenir le nouveau cheval de bataille de la JWA, la Mirage M1. Wyer réussi à convaincre Bailey de le rejoindre pour développer son étude et la M1 va finalement faire une très belle saison.
Mais pour la saison 1968, la CSI limite la cylindrée des Prototype du Groupe 6 à 3 litres.
La JWA va transformer ses Mirage en Ford GT40 (pour une concrètement, les deux autres châssis étant construit selon les même spécifications) de façon à pouvoir courir en Sport 5 litres.
Len Bailey retourne chez Alan Mann pour dessiner une nouvelle auto qui va être motorisée par le Ford Cosworth apparu en F1 la saison précédente.
Cette même année, il conçoit aussi les nouvelles suspensions arrières et le système de frein à disques de la Ford Escort destinée à courir en rallye et sur piste pour le compte de Ford UK.
En 1969, il fait évoluer la P68 et spider qui devient la P69, sans plus de succès.
Son travail de designer va même apparaitre au cinéma cette année là avec la création de deux voitures pour un film de science fiction de Robert Parrish, "Doppelgänger", connu en France sous le titre "Danger, planète inconnue".
Sa dernière création chez Alan Mann sera la Ford Open Sports, une barquette Canam, juste avant que l'écurie ne cesse ses activités fin 1969.
Len Bailey va alors créer son propre bureau d'étude, basé à Woking, le Gomm Metal Developpement.
C'est dans ce cadre, après avoir dessiné quelques monoplaces destinées à la Formule Tasmane, qu'il va créer durant l'été et l'automne 1970 la nouvelle Ford destinée aux rallyes, la GT70.
En 1972, il collabore de nouveau avec John Wyer et dessine la Mirage M6 pour le compte du JWA.
A la même période, il va dessiner également les première F1 de Franck Williams, la Politoys Ford FX3 et l'Iso-Rivolta Ford FX3B, deux autos qui ne seront pas de grandes réussites.
Tout au long des années 70 et 80, le nom de Len Bailey va apparaitre dans nombre de projets dont la version course de la première Ford Fiesta, des Formules 3...etc.
Il retrouve l'Endurance au début des année 80 en dessinant la première version de la Ford C100 puis les EMKA Aston Martin.
Certaines sources le donnent également comme ayant participé à la création de voiture de série comme l'Austin Princess, mais aux vues du résultat, je peux comprendre que ses biographes oublient cette commande.
Len Bailey va travailler quasiment jusqu'à son décès, le 23 juin 1997.
Une de ses dernières création étant le châssis de l'AC Ace de 1994.
Mais revenons en 1966.
Len Bailey travaille au sein du Alan Mann Racing et se voit confier par Holman et Moody la conception d'une barquette pour la Canam financée par Ford.
Apparemment, le géant de Dearborn a conscience des difficultés de mise au point de sa version de la Mk IV destinée au Challenge, la G7A, et a décidé de ne pas mettre tout ses œufs dans le même panier.
Bailey va créer un monocoque en aluminium riveté et l'équiper une carrosserie basse et toute en galbes, sa forme à été longuement travaillée en soufflerie par l'ingénieur anglais.
A priori, la quasi intégralité de la suspension provient en grande partie de la GT40 et elle est motorisée par un Ford 351 à injection développant environ 500cv.
La Honker est achevée fin 1966 et envoyé aux Etats Unis, mais Holman et Moody sont déjà très occupés avec la préparation des MkII B et leur participation aux 24 Heures 1967 où ils exploiteront également deux Mk IV.
De fait, la préparation de la Honker II va être tardive et pour le moins approximative.
Lorsqu'elle débute à Road America le 3 septembre, Mario Andretti connait d'énormes difficultés à exploiter l'auto, dont le train arrière ne semble pas toucher la piste.
Il jette l'éponge après les essais et déclare forfait.
Deux semaines plus tard, à Bridgehampton, il connait de nouveau des essais difficiles, mais va réussir à amener la Honker à l'arrivée, au 8ème rang.
A l'occasion de cette course, durant laquelle, pour des raison publicitaires, l'acteur Paul Newman avait été désigné comme directeur d'équipe, et son nom était écrit en grosse lettre sur le capot avant.
Amusé, Mario Andretti avait fait ce trait d'humour : "Pourquoi n'inscrivez vous pas mon nom sur la voiture et ne faites vous pas piloter Paul Newman?"
Une semaine plus tard, à Mosport, Andretti jette une nouvelle fois l'éponge dès la fin des essais.
Pour lui, la Honker II est une des pires autos qu'il n'ait jamais piloté.
Pourtant, un mois plus tard, le 29 octobre, alors que la Honker II à participé à quelques séances de développement et est désormais motorisée par un Ford 377, Andretti se qualifie à une belle cinquième place.
Il se permet même de taquiner les McLaren en début de course et de prendre la tête.
Mais la fourchette de la boîte de vitesse va lâcher et mettre fin à la fête.
La Honker II ne prendra pas le départ de sa dernière course à Las Vegas en Novembre, un roulement ayant lâché juste avant.
Elle ne sera plus jamais alignée en compétition et Paul Newman, qui avait pris Mario Andretti aux mots, va l'accidenter durant le tournage du film Virage en 1968.
Son épave sera stockée dans les locaux d'Holman et Moody pendant de nombreuses années avant qu'elle ne soit restaurée, trente ans plus tard.
Au lendemain des 24 Heures du Mans 1967, la C.S.I. (Commission Sportive Internationale), affolée par les performances atteintes, décide unilatéralement et brutalement de modifier le règlement et de limiter la cylindrée des Prototypes à 3 litres.
John Wyer va décider de recycler ses Mirage en vrais fausses GT40 pour les aligner en Sport 5 litres alors que chez Alan Mann, on décide de tenter l'aventure en 3 litres en utilisant le nouveau Cosworth DFV apparu sur la Lotus 49.
Bailey fait son retour à Byfleet, mais le délais est court et les moyens beaucoup moins importants qu'à l'époque de la GT40. La Fo.Mo.Co a enfin gagné le Mans avec une voiture entièrement conçue et réalisée aux USA avec la Mk IV. Le géant de Dearborn laisse désormais à la charge de ses filiales européennes le financement de ce genre d'opération.
Ford U.K. va donc être le "maître d’œuvre" de l'élaboration de la nouvelle voiture et donner au Alan Mann Racing l'autorisation d'utiliser le Cosworth DFV associé à la boîte Hewland à cinq rapports.
Mais cette agrément est cependant limité par certaines restrictions, Len Bailey se voyant refuser la possibilité d'utiliser le DFV comme un moteur porteur, à l'inverse de Colin Chapman en F1.
Il est fort probable que les dirigeants de Ford Angleterre étaient déjà au courant des problèmes de vibrations liés au nouveau V8 et avaient encore peu de recul sur la durée dans le temps des blocs dans cette configuration, surtout dans des courses bien plus longues qu'un Grand Prix. Ils décidèrent de limiter le risque.
Quoi qu'il en soit, les choses se mettent peu à peu en place.
Dès le premier coup d’œil, il est évident que Bailey a utilisé ses études ultérieures pour élaborer la P68.
Bien que son monocoque en aluminium riveté soit légèrement différent et ses suspensions beaucoup plus typées "F1", notamment à l'avant, la P68 est très fortement inspirée du projet Honker II.
La forme du pavillon est elle directement dérivée des études aérodynamiques réalisées pour la Mirage.
Mais "l'assemblage" est très cohérent et le résultat d'une rare beauté.
La forme définitive de la F3L est longuement testée sur une maquette dans la soufflerie de l'Imperial College de Londres durant les derniers mois de 1967. Bailey abouti a une forme stable, dont le Cx exceptionnel est de 0.27, qui selon les standards de l'époque, laisse à penser à l'ingénieur anglais qu'il va pouvoir se passer de tout "artifices" aérodynamiques.
La P68, très basse, est tout en courbes et lors de sa présentation à la presse, le 20 mars 1968, elle séduit d'entrée les journalistes présents, qui, très enthousiastes l'imaginent déjà dépasser 350 km/h avec un 3l.
Lors de cette présentation, la P68 était dans sa version la plus pure, dépourvue de tout becquets ou autres éléments aérodynamiques ajoutés.
L'empattement court et la taille imposante des moyeux avants, laissèrent imaginer aux journalistes spécialisés la possibilité d'une évolution ultérieure avec une transmission intégrale, mais Len Bailey n'a jamais confirmer cette hypothèse, d'autant qu'aucun emplacement n'est prévu dans le monocoque pour laisser passer un éventuel axe de transmission.
La F3L est équipée d'une carrosserie entièrement en aluminium et l'auto est donnée pour 660 kg à vide.
Son système de freinage à l'arrière est pour le moins original. En effet, les disques sont montés "in-board", cependant les étriers ne sont pas fixés à la boîte de vitesse, mais sur la face intérieur du moyeu arrière.
Deux châssis furent construit début 1968, le premier servant aux essais pour définir les réglages de la nouvelle voiture. Il semble que Paul Hawkins, Frank Gardner et Mike Spence aient été les pilotes participant à ces séances de déverminages réalisées à Goodwood début mars. Le pilote australien définissant alors la F3L comme une autos très vives aux réactions difficiles à anticiper.
De plus, la conduite de La F3L demandait un certain temps d'adaptation à ses pilotes pour une raison inattendue. En effet, la forme très particulière de son grand pare-brise galbé provoquait des déformations visuelles qui, associées aux vibrations du Cosworth demandaient beaucoup de concentration pour viser les trajectoires.
L'idée d'Alan Mann était de faire débuter la nouvelle Ford lors des 6 Heures de Brands Hatch le 7avril.
Il commença donc a contacter des pilotes et notamment John Surtees, dans l'espoir qu'il veuille piloter la voiture lors des 1000 Km du Nurburgring.
Exigeant, le pilote anglais demanda d'abord à pouvoir essayer la voiture avant la course de Brands Hatch afin de pouvoir donner sa réponse.
Une séance d'essais supplémentaire est donc organisée à Goodwood fin mars.
Pour l'occasion, Surtees est accompagné par son jeune coéquipier Chris Irwin, qui après une saison de F1 difficile en F1 avec la BRM P115 H16 s'est rabattu sur la F2 chez Lola au côté du champion anglais.
Les deux pilotes sont affolés par le comportement de l'auto, qui, privée d'appui sur l'arrière, devient imprévisible dès qu'elle est poussée à la limite.
Prudent, John Surtees demande à pouvoir faire d'autre séance avant le Nurburgring, mais il s'entend répondre que cela est impossible car Cosworth donne la priorité de la fourniture de ses moteurs aux équipes de F1 et peu de blocs sont disponibles, il faut donc en limiter l'usage.
Dans ces conditions, "Big John" se retira du projet.
Irwin, en début de carrière, décide de relever le défi et d'accepter l'offre d'Alan Mann.
A l'occasion de ces séances lors de laquelle la durée de vie du DFV dépassa rarement une heure, Mike Spence, excellent metteur au point découvrit un défaut majeur de conception de la F3L.
Le pilote anglais mis en effet en évidence que Len Bailey avait sous estimé l'adhérence des pneus qui avaient fait des progrès importants les deux années précédentes en terme d'adhérence. En fait, la crémaillère de direction et ses biellettes se déformaient en virage causant une tenue de cap pour le moins approximative. le système fut donc changé pour un modèle plus résistant.
Spence insista également pour que la F3L soit équipée d'un becquet arrière. Cela vexa quelques jours Len Bailey qui était persuadé que la forme qu'il avait dessiné était un compromis parfait, mais l'ingénieur fini par entendre raison et lorsque Mike Spence revint à Goodwood, il tourna en 1'16", quatre secondes pleines plus rapide que le meilleur temps réalisé par la P68 auparavant.
Suite à ces essais, la P68 est équipée d'un becquet arrière encore plus imposant dont la lame est réglable en hauteur, à la manière des Ford Mk II ou Mk IV.
C'est sous cette forme que les deux voitures, les #001 et #002 sont présentées aux vérifications des 6 Heures de Brands Hatch. La #002 a été achevée juste a temps pour participer au weekend de course et son moteur a été livré par Cosworth seulement la semaine précédente.
La #001 est confiée à Jochen Rindt et Mike Spence, la #002 à Bruce McLaren et Denny Hulme.
Initialement, il était prévu qu'elle soit pilotée par Jim Clark et Graham Hill mais Alan Mann n'ayant pas confirmé, les deux hommes sont finalement retenus par une course de F2 à Hockenheim.
Les problèmes de tenue de route semblent être en partie réglés, puisque Bruce McLaren qualifie la #002 à la seconde place, 8 dixièmes derrière Jo Siffert sur une Porsche 907.
La #001 casse son moteur aux essais et comme Alan Mann n'a pas de moteur de rechange, l'auto est déclarée forfait.
Spence rejoint McLaren pour la course. C'est le néozélandais qui prend le départ, et le loupe, gêné apparemment par les problèmes de sélections le boîte.
Cependant la voiture est rapide et il remonte fort, prenant la tête juste avant les premiers ravitaillements.
Spence le relaye, mais, quelques tours plus tard, un des donuts de la transmission lâche, c'est l'abandon.
A priori, c'est la proximité de l'échappement du V8 qui a surchauffé l’accouplement en caoutchouc et provoqué sa casse.
Le soir de la course, la nouvelle tombe, terrible : Jim Clark s'est tué en sortant dans une des ligne droite du circuit d'Hockenheim.
Le 19 mai ont lieu les 1000 Km du Nurburgring et les deux P68 #001 et #002 sont de nouveau présentes.
Cette fois-çi, les pilotes sont Frank Gardner et Richard Attwood sur la #002 dont la lèvre inférieure de l'entrée d'air avant a été modifiée, formant spoiler, et Chris Irwin et Pedro Rodriguez sur la #001.
Dans les semaines précédentes, lors d'une discussion, John Surtees avait conseillé à Chris Irwin de ne pas prendre de risque avec la voiture sur un circuit si particulier et de rester dans sa zone de confort.
Les essais débutent et Chris Irwin signe un rapide 8'40"400 qui aurait pu être le quatrième temps, malgré une piste légèrement humide.
Il enchaîne les tours, mais en fin de séance, arrivé à la hauteur de la bosse de la Flugpatz, la P68 décolle, oblique violemment sur la droite, sort de la piste, et atterrit sur le toit, en contrebas, au milieu des arbres qui bordent le circuit.
Il semble que le pilote anglais ait heurté un lièvre à haute vitesse juste avant la bosse, modifiant l'aérodynamique de la voiture et favorisant son décollage.
Irwin est gravement blessé à la tête, il survivra, mais la carrière du jeune espoir anglais va s’arrêter là.
La #002, qualifiée cinquième par Frank Gardner, prend le départ avec Richard Attwood à son volant.
Mais l'anglais accumule les arrêts aux stands.
Il perd un clips de frein dans le premier tour, dans le second, la portière s'ouvre, repartit une nouvelle fois, il crève lors de son troisième tour. L'anglais rentre une nouvelle fois.
Il fini par repartir, mais le DFV va lâcher dans les tours suivants.
Selon la légende, à leur retour en Angleterre, les mécaniciens d'Alan Mann vont démonter l'épave de la #001 et détruire son châssis, persuadés qu'il est, en quelque sorte maudit.
En effet, hormis Irwin qui est encore dans un état grave, l'accident de Clark, Mike Spence s'est tué début mai à Indianapolis lors d'essais préliminaires. Pour les hommes de Byfleet, il était devenu évident que la voiture portait malheur.
Mais de toute façon, lorsque l'on voit les photos de l'épave après l'accident, il est probable que la #001 était détruite, et que peu de choses devaient être récupérables sur son épave.
Une semaine après la course catastrophique du Nurburgring, la #002 est alignée au 1000 Km de Spa.
Une pièce a été ajoutée pour allonger encore le spoiler au niveau de l'entrée d'air avant et la voiture est pilotée par Frank Gardner et Hubert Hahne.
Sur le très rapide circuit ardennais, Gardner va montrer tout le potentiel de la F3L.
Lors des essais, le pilote australien, en 3'36"300, met quatre secondes pleine à Jacky Ickx sur la GT40 Wyer, pourtant toujours très rapide sur son circuit fétiche.
Il commence à pleuvoir juste avant le départ.
Jusqu'à présent, la P68 n'avait jamais pris la piste sous la pluie.
Gardner prend le départ et rentre au ralenti à la fin du premier tour. L'eau est rentrée en quantité par les NACA qui alimentent le moteur en air frais, et a inondé le circuit électrique.
Le weekend suivant, la P68 #002 est engagée à Oulton Park, pour le Tourist Trophy, et c'est Richard Attwood qui la pilote.
Prudent, le pilote anglais est également engagé sur la Ferrari 412P de David Piper, au cas où.
Une fois encore, la P68 est la plus rapide aux essais.
Attwood mène durant les dix premiers tours avant de s’arrêter en bord de piste, en panne de différentiel.
Il rejoint ensuite David Piper et l'équipage va finir second, à une dizaine de seconde de Denny Hulme sur une Lola T70.
Fin juillet, la F3L réapparait lors du Martini Trophy à Silverstone aux mains de Franck Gardner.
L'australien signe le deuxième temps des essais.
Il mène la course durant les 41 premiers tours et livre une belle bataille avec Denny Hulme sur sa T70 signant plusieurs fois le record du tour.
Mais lors du tour suivant, il s’arrête, pression d'huile à zéro.
Cette course va être la dernière de la P68 en 1968, quelques jours plus tard, Alan Mann reçoit une lettre de Walter Haynes de Ford UK, le budget alloué à la F3L pour la saison est épuisé, le projet est mis en sommeil jusqu'à l'année suivante.
Une troisième voiture a été construite, la #003, destinée à remplacer le châssis #001 détruit. C'est elle qui apparait sur les photos illustrant cet article. A ce moment de la saison, elle était presque achevée, il ne restait plus qu'à la préparer pour courir, ce qui n'arrivera au final jamais en 1968.
Les images suivantes montrent une des séances d'essais à Goodwood en mars 1968.
Tournées en Super 8, elles sont filmées par Alan Mann lui-même.
Ces vues sont intéressantes, car la P68, pilotées pour l'occasion par Paul Hawkins, est équipée d'une lame arrière qui n'apparaitra jamais en course sous cette forme.
Durant l'hiver 1968/69, Len Bailey va travailler sur une nouvelle version de la F3L, un spider qui va prendre l'appellation P69.
Cette évolution de la F3L est radicale, Len Bailey prenant le contre-pied de ce qu'il avait défini pour créer le coupé P68.
En effet, l'ingénieur anglais va complétement investir la tendance des ailerons mobiles très à la mode en cette saison 1969.
Mais là où la plupart des ingénieurs vont utiliser cette technique comme un plus permettant d'améliorer une auto manquant d'appui, Bailey va complétement refondre sont projet pour faire des ailerons mobiles l'axe central de la Ford 3l pour la saison 1969.
La carrosserie de la F3L et sa partie avant vont être entièrement retravaillées, Bailey s'inspirant des voiture de record anglaises des années 50.
Le radiateur va être rejeté tout à l'arrière et alimenté par une immense prise d'air NACA qui courre le long de la voiture à partir du poste de pilotage.
L'espace libéré va être remplacé par un aileron mobile fixé entre les deux ailes avant et activé par un complexe système hydraulique relié aux suspensions et aux freins avants.
L'air est ainsi canalisé dans le tunnel qui servait sur la P68 d’extracteur d'air chaud du radiateur.
Techniquement très avancé, ce système est discutable sur la plan purement esthétique, donnant à la P69 un un air de catamaran dans sa partie avant qui n'est pas des plus heureux.
Il est à noter que bien des années plus tard, Ross Brawn s'est fortement inspiré de cette implantation avant pour définir l'aérodynamique de la Jaguar XJR-14, le système mobile en moins.
L'habitacle de la P69 est entièrement caréné et ne laisse apparaitre que la tête du pilote, protégé par un petit saute vent et un appuie-tête profilé dans le prolongement du casque.
Le capot arrière est très largement modifié lui aussi. Raccourci, il est également équipé d'un becquet mobile commandé hydrauliquement et relié aux suspensions et aux freins arrières. Selon les sources de l'époque, il était censé générer 250 kg d'appui à 180km/h.
Les étude aérodynamiques de la P69 sont menée dans la soufflerie du M.I.R.A à Nuneaton.
Les essais vont être mené par Frank Gardner sur la piste de Goodwood.
Mais le système, extrêmement complexe, d'autant que les capteurs utilisés par Bailey ont un temps de réponse important, s'avère très difficile à mettre au point.
Le spider doit débuter lors du BOAC 500, à Brands Hatch, le 13 avril 1969.
Pour l'occasion, il sera épaulée par la P68 #003 qui va faire ainsi ses débuts en course.
En urgence, les deux autos vont être modifiées et équipées d'ailerons suspendus et mobiles, de type F1, montés directement sur les moyeux.
La P68 #003 recevra une aile reliée aux suspensions arrières et sera testée dans sa configuration classique aux essais par Denny Hulme et Masten Gregory, l'aile sera remontée pour la fin des essais et pour la course.
Sur la P69, confiée à Jack Brabham et Franck Gardner, le complexe système aérodynamique a été rendu fixe, une lame réglable a été ajouté à l'arrière, et deux ailes type F1 sont désormais reliées aux suspensions avants et arrières.
Sur la P68, Hulme réussi un 1'33"200, qui correspond au 8ème temps.
Jack Brabham ne semble vraiment pas à l'aise au volant du spider et c'est Frank Gardner qui va se montrer le plus rapide en 1'33"000, avant que le moteur ne lâche.
Une fois encore, le Alan Mann Racing ne possédant pas de moteur de rechange, la course de la P69 va s’arrêter là.
Avec le temps, des bruits ont circulé laissant entendre que Jack Brabham aurait refusé de conduire la voiture en course, mais aucune source de l'époque n'y fait référence.
De fait, les équipages sont modifiés et Gardner rejoint Hulme pour la course sur la P68 #003.
C'est Hulme qui prend le départ et fait un bon début de course, remontant au cinquième rang, mais, au bout de 14 tours, il rentre aux stands, pression d'huile à zéro.
Un mois plus tard, la P68 #003 va disputer une dernière course lors du Martini Trophy à Silverstone.
Elle est de nouveau équipée de son aile type F1 reliées aux suspensions et elle est pilotée par Frank Gardner.
L'australien signe la pole en 1'28"000, presque deux secondes plus rapide que la meilleure des Lola T70 pilotée par Brian Redman.
Malheureusement, il tombe un déluge le samedi de la course, et une fois encore, la P68 va prendre l'eau, au sens propre.
Gardner rentre aux stands à la fin du tour de formation, système électrique noyé.
Pire encore, la veille, suite aux accidents du GP d'Espagne et après les essais du GP de Monaco, la FIA décide brutalement d'interdire les systèmes aérodynamiques mobiles, rendant caduque la suite du projet F3L.
Dans les semaines qui suivent, Ford UK décide de retirer son financement au Alan Mann Racing et, au titre de commanditaire du projet, de récupérer les autos et tout le matériel associé.
Les deux P68, la P69 et de nombreuses pièces de rechange vont alors être stockées pendant plusieurs années dans les locaux d'un concessionnaire Ford de Leeds.
Le Alan Mann Racing va vivoter jusqu'à la fin de l'année 1969 grâce à un projet Canam financé par Ford, la Ford Open Sports, qui est en quelque sorte, la dernière descendante de la P68.
Lassé, le préparateur anglais va dissoudre son écurie fin 1969 pour se tourner vers une autre de ses passion, l'aviation et en particulier les hélicoptères.
Les "restes" du projet F3L vont restés stockés à Leeds, puis au dépôt de Boreham jusqu'en 1973, se dégradant lentement.
Le directeur de la compétition de Ford UK, Stuart Turner, décide alors d'un grand ménage. La P69 et une partie du stock de pièces sont cafutés. Harry Calton, le responsable presse est en désaccord, il contacte alors Doug Nye pour lui faire part du "massacre"
Tom Wheatcroft, qui vient d'ouvrir le musée de Donington est alors alerté par Doug Nye et récupère, in-extremis, les deux autos restantes, les P68 #002 et #003, dans un état de délabrement plus ou moins avancé.
Mais la collection Wheatcroft étant surtout axée sur la F1, il va revendre les deux F3L.
La #002 partant, semble-t-il, en Nouvelle-Zélande chez Gavin Bain. Elle va ensuite passer par l'Australie avant de revenir en Europe et par être rachetée au début des années 2000 par un collectionneur belge qui la posséderait encore, le Comte Christophe d'Ansembourg.
La #003 va être vendue par Wheatcroft à David Piper qui va la conserver jusqu'en 1997, elle est ensuite vendue à un collectionneur français Mr Fabre, qui semble, lui aussi, encore la posséder aujourd'hui et ne la sort qu'en de très rares occasions.
C'est en utilisant #003 régulièrement au sein de son "Cirque Roulant" que David Piper va découvrir la raison des casses récurrentes de moteur sur la F3L.
Confiné dans l'étroit compartiment moteur, le DFV, conçu pour fonctionner quasiment à l'air libre sur une monoplace, surchauffait dans sa partie avant, sans que cette élévation de la température du bloc ne se traduisent par une montée excessive de la température du liquide de refroidissement. La conséquence première de cette surchauffe étant une dilation de l'axe de la pompe à huile provoquant son grippage et endommageant plus ou moins irrémédiablement le V8.
Il est intéressant de noter que le DFL 3,3l connaitra les même problèmes de lubrification lorsqu'il sera monté, douze ans plus tard dans des Prototypes fermés, comme les Rondeau, par exemple.
La Ford P68 était elle, au final, une auto mal née?
Le temps a fait son œuvre et les analyses un peu trop rapides aussi.
Dès le départ, le projet F3L manquait de financement et son développement s'est fait lui aussi à l'économie.
La période fastueuse de la conquête du Mans par la Fo.Mo.Co. était déjà achevé à sa naissance fin 1967 et les subsides accordées par Ford UK à Alan Mann étaient sans commune mesure avec les budgets alloués par la firme américaine quelques année plus tôt.
La première version de la F3L avait certes quelques défauts de conception, notamment son étanchéité qui écourta, encore plus qu'à l'habitude, toutes ses courses sous la pluie, mais elle était foncièrement bien née.
Le seul parallèle possible à l'époque est probablement à faire avec la Mirage M2 dessinée par Len Terry, et avec laquelle le JWA a essuyé les plâtres à de nombreuses reprises avec la version BRM avant que Jacky Ickx ne finissent par imposer le spider en version Cosworth lors des 500 Km d'Imola, une course hors championnat et avec une opposition peu relevée, sur une distance à peine plus longue qu'un Grand Prix de Formule 1.
La P68, qui restera à jamais le premier Prototype d'Endurance motorisé par le Cosworth DFV, a surtout pêché par un cruel manque de développement.
Le peu de moyen alloué au Alan Mann Racing a fait qu'hormis les premiers tests effectués à Goodwood, les séances de développement suivantes se sont déroulées lors des essais des courses auxquelles la P68 à participé.
Je laisse le mot de la fin à Richard Attwood qui à piloté la F3L a plusieurs reprises en 1968 et qui la défend dès qu'il en a l'occasion : "Une voiture capable de signer la pole position ou le meilleur tour en course quasiment à chacune de ses sorties n'est surement pas une mauvaise auto."
Il est à espérer que cinquante après, l'histoire finisse par lui rendre enfin la place qui lui est due.
Durant les derniers mois de sa vie, Len Bailey a été contacté par David Piper pour projet qui lui tenait à cœur, reconstruire la P68 #001, détruite lors de l'accident d'Irwin au Nurburgring 1968.
L’ingénieur anglais accepta la proposition, mais à la condition de ne pas reconstruire la P68 comme elle était à l'époque, mais comme elle aurait due être.
Cette évocation nommée P67 #002 commença alors à prendre forme.
Un nouveau monocoque en aluminium fut construit, mais cette fois le DFV fut installé dans une configuration moteur porteur.
De fait, la suspension arrière fut entièrement repensée et le système de freinage remplacé par quelque chose de beaucoup plus conventionnel qu'à l'origine.
Pour atténuer la vivacité en courbe de la F3L, l'empattement a été rallongé de 7 cm, passant de 221 cm (87 pouces) à 228 cm (89 pouces).
La forme des capots avant et arrière, bien qu'elle semble proche de celle de ces éléments sur #003 en 1969 alors qu'elle était équipée de l'aile mobile, a en fait été retravaillée avec des moyens modernes par Len Bailey dans la soufflerie du M.I.R.A..
Les ailes avants semblent en fait légèrement plus galbées et des flaps ont été rajouté pour augmenter encore l'appui.
Les renforts du becquet arrière ont été repris de la version 1969, mais le becquet lui même est largement plus dimensionné qu'à l'époque.
Pour recentrer les masses, les capots avant et arrières sont désormais construit en polyester, la cellule et les portières restant en aluminium.
Le pare-brise a tété recrée avec un verre spécial, évitant les déformations visuelles dues au galbe important qui ont beaucoup gêné les pilotes de l'époque.
Par commodité pour David Piper et pour éviter toute ouverture intempestive comme en 1968, les portières basculent désormais vers l'avant au lieu de l'ouverture "papillon"d'origine.
Comme à chaque fois lors de la reconstruction de ce type d'auto, l'utilisation d'une partie des #001 est revendiquée, ici, une partie du châssis et les portières.
Quand on observe les photos du crash du Nurburgring et que l'on voit l'état du châssis, cela est fort peu probable, d'autant que les restes sont censés avoir été détruit en 1968. Quand aux portières, elles sont absentes sur les photos de l'accident, et l'aluminium étant, après tout, reformable à l'infini...pourquoi pas.
Len Bailey ne verra pas, semble-t-il, l'achèvement de son dernier projet.
Mais où qu'il soit, il peut être fier du résultat.
En effet, la P67 #002 est une auto très performante, beaucoup plus simple à piloter que la P68 originelle.
David Piper va obtenir de très bon résultats à son volant lors de courses historiques.
Richard Attwood la pilotera à Goodwood et ne tarira pas d'éloges à son sujet.
David Piper va la revendre fin 2006 à Alan Mann, et l'auto, "très fatiguée" va connaitre une première restauration.
La P67 va être vite revendue et ne va cesser de changer de mains ces dernières années.
Elle était, aux dernières nouvelles, la propriété d'un pilotes français depuis sa dernière vente par Bonhams en 2018, mais comme elle était encore présente à Retromobile cette année, allez savoir...
- Abandon aux BOAC 500 1969 (pression d'huile) avec Denny Hulme et Frank Gardner. |
- Abandon au Martini Trophy 300 1969 à Silverstone (panne électrique) avec Frank Gardner. |
Les photos illustrant cet article ont été prises lors du GP de Paris 1991 à Monthléry, au salon Retromobile 2016 (merci Pascal) et lors que l'exposition Blue and Orange au Musée Automobile de la Sarthe en 2018.