21 Novembre 2019
Après vingt neuf ans d'une collaboration fructueuse Charles Deutsch et René Bonnet vont devenir adversaires, pour la première fois, lors des 24 Heures du Mans 1962.
Fin 1961, des tensions apparaissent entre les deux figures majeures qui ont marqué la renaissance du sport automobile français d'après-guerre, René Bonnet et Charles Deutsch.
René Bonnet envisage de s'associer à Renault et Charles Deutsch veut rester fidèle au bi-cylindre Panhard, considéré par Bonnet comme étant à bout de développement.
Le divorce est effectif le 31 décembre, et courant janvier, la Régie annonce officiellement la fourniture de moteurs à René Bonnet pour la saison 1962.
Charles Deutsch, de son coté, a conservé les ébauches du dernier projet DB qui devait être la remplaçant du Coach HBR 5.
Il en fait part à Etienne de Valance, qui cumule les fonctions de Directeur du Service Compétition et du Marketing chez Panhard.
Les deux hommes vont faire le pari fou de courir les 24 heures du Mans 1962 avec ce qui n'est encore qu'un projet sur plan.
L'accord entre Panhard et Charles Deutsch est finalisé le 20 janvier.
Pressé par le temps, Deutsch confie l'étude aérodynamique du projet à Lucien Romani et à son bureau d'étude, le BEST.
Le cahier des charges est simple, Deutsch a toujours été déçu par les performances en vitesse de pointe des Coach HBR 5 au Mans (ce qui est logique puisque ces autos avaient été conçues pour les épreuves routières) et l'idée est cette fois de dépasser les 200 Km/h dans les Hunaudières.
Romani et Deutsch dessinent une forme très pure, cette fois vraiment destinée à la piste, et c'est un jeune aérodynamicien autodidacte qui travail pour le BEST qui va se charger de l'étude dans la soufflerie Eiffel, rue Boileau à Paris, Marcel Hubert.
Le développement du châssis poutre, la conception des autos et les ultimes perfectionnements du bi-cylindre Panhard vont être confiés au Moteur Moderne.
Pour les essais, Pichard va engager un jeune metteur au point qui vient de quitter son poste à la Saviem et se retrouve sans emploi, Bernard Boyer.
Le châssis sera constitué d'une poutre longitudinale se terminant à l'avant par quatre tubes supportant la suspension triangulée à lame transversale et le groupe motopropulseur, à l'arrière, elle croise une poutre transversale de plus faible diamètre sur laquelle s'appuie les barres de torsions supportant les roues.
Comme sur les DB Monomill, les voies arrières sont plus étroites de 10 cm par rapport à l'avant.
Avec l'aval de Paul Panhard, la conception de la CD va avancer très vite et à peine 70 jours après l'accord initial, une première auto, à carrosserie en acier est achevée (#101) et une séance d'essais est organisée à Monthléry début avril.
Une seconde CD, à carrosserie en fibre de verre (#102) fabriquée chez Chappe et Gessalin, est achevée début mai et les deux autos sont inscrites aux 1000 Km du Nurburgring.
Avec Bernard Boyer et Andrée Guilhaudin, #101 va terminer 24ème au général et seconde de la classe 1000 cm3, ce qui est plutôt très encourageant pour les 24 Heures, même si c'est une René Bonnet qui a remporté la catégorie.
Etienne de Valance a prévu un programme strict lors des essais d'avril des 24 Heures du Mans 1962.
En dehors de la validation des différents choix techniques, le weekend allait servir également à définir le choix des pilotes pour le mois de juin.
De nombreux candidats vont être testés, mais finalement seul Alain Bertaut, journaliste essayeur à l'Action Automobile, sera choisi en dehors des pilotes les plus émérites.
Cinq autos ont été préparées avant les 24 Heures du Mans, la première, à carrosserie acier (#101), et quatre autres à carrosserie polyester Chappe et Gessalin (#102 à 105).
Comme pour les 1000 Km du Nurburgring, les moteurs sont des Tigre réduits à 702 cm3 et préparés par le Moteur Moderne avec des spécifications différentes en fonction des indices énergétiques et de performance.
Rien n'est laissé au hasard par le directeur sportif de Panhard.
Quatre voitures vont passer au pesage, les quatre à carrosserie plastique.
La #103 va être confiée à André Guilhaudin et Alain Bertaut, elle porte le n°53, la #104 à Pierre Lelong et Jean-Pierre Hanrioud, celle ci porte le n°54 et enfin la #105, la dernière produite à Bernard Boyer et Guy Verrier portant le n°55.
La #102 est aussi présente en tant que mulet, elle est inscrite sous le n°70.
Les quatre CD sont inscrites officiellement au nom de l'usine Panhard et Levassor.
Les séances d'essais se déroulent sans trop de difficultés.
Le mercredi soir étant consacré à la mise au point des autos et le jeudi à la qualification des pilotes au besoin.
Dans cette catégorie, pour se qualifier, ils devaient effectuer six tours de jours et six tours de nuits sous les six minutes.
Du côtés des CD, ses qualifications se firent pour l'ensemble des pilotes sur un rythme de 5'30" / 5'40", qui devait également être le tableau de marche pour la course, sans forcer.
Un problème était cependant apparu lors de ces séances.
Sur les Coach CD, le dessous de la voiture avait été entièrement caréné, l'échappement y compris, dans un tunnel sous la poutre du châssis. Or ce tunnel transmettait la chaleur de l'échappement dans l'habitacle qui devenait une étuve au bout de quelques tours.
Il fallait donc modifier les autos le vendredi en vue des long relais prévus de 3h30 pour amener de l'air frais dans l'habitacle, les vitres arrières furent donc légèrement échancrées , faisant perdre aux CD un peu en vitesse de pointe, au grand dam de Charles Deutsch.
La stratégie des CD Panhard se définissait comme tel : la n°53 de Guilhaudin et Bertaut visait l'indice de performance, la n°55 de Boyer et Guy Verrier, avec un réglage moteur à mélange appauvri, l'indice énergétique, et la n°54 de Lelong et Hanrioud devait se tenir en réserve pour prendre le relais de l'une ou l'autre des deux voitures, au cas où.
Les CD Panhard vont faire un début de course très sage, leur très faible consommation (environ 11,5l au 100 à 145 km/h de moyenne) leur permettant de faire de long relais de 3h30.
C'est Verrier qui prend le départ sur la n°55, il pointe au 52ème rang en fin de première heure, loin derrière le Djet de Rosinski et Consten 39ème, mais devant la RB Spider de Laureau et Armagnac et la dernière CD.
Il va gagner dix places en trois heures et après que Bernard Boyer ait pris le relais, la n°55 pointe au 40ème rang à la quatrième heure.
Le printemps 1962 est exceptionnellement chaud et malgré les modifications apportées aux CD le vendredi, la chaleur est intense dans l'habitacle et la course difficile.
Mais la progression de la berlinette bleue reste constante et ses deux pilotes pointent en tête au rendement énergétique.
La nuit va apporter un peu de fraîcheur.
A minuit, la n°55 pointe au 32ème rang, juste devant la n°53, la n°54 étant légèrement attardée au 39eme rang.
Mais la dernière CD n'ira pas beaucoup plus loin, son pilote heurtant les fascines à la sortie de la courbe Dunlop et partant en tonneaux dans la descente de la Chapelle peu après son ravitaillement.
A mi-course, la n°55 pointe au 31 ème rang, toujours en tête à l’énergétique.
La n°53 l'a passé durant l'heure précédente mais elle reste dans son sillage.
Durant l'heure suivante, le moteur va commencer à donner des signes de faiblesse.
La petite berlinette maintient son rang mais le staff de CD Panhard commence à être inquiet.
Au levé du jour, le mal va s'empirer.
Il semble que la préparation spécifique avec mélange appauvri faite par le Moteur Moderne provoque une surchauffe du bi-cylindre.
Etienne de Valance décide que l'aventure va s’arrêter là pour la n°55 avant que le moteur ne casse.
Mais la n°53 reste en course, et en très bonne position.
Mieux encore, l'auto tourne comme une horloge.
Guilhaudin et Bertaut vont rejoindre l'arrivée au 16ème rang, remportant l'indice de performance et permettant à CD de prendre sa revanche sur René Bonnet qui les avait battu au Nurburgring.
C'est la dixième victoire de Panhard au Mans, le challenge a été relevé haut la main.
Seul petite déception pour Charles Deutsch, malgré ses prévisions, les CD Panhard n'ont pas franchi la barre des 200 Km/h sur les relevés de l'ACO, même si, avec 198 km/h, elle s'en sont vraiment rapprochées.
Durant l'hiver 1962/63, #105, comme #102 et #104 sont vendues au Moteur Moderne.
Elles serviront pour différents tests puis seront vendues à la liquidation de la société.
#105 ne réapparaît qu'en 1984 lors d'une vente aux enchères où elle est rachetée par Jean-Claude Aubriet, un ancien pilote des 24 Heures.
Il décède en 1987 et la voiture est alors léguée à sa succession à Etienne de Valance.
Elle n'est plus équipée du 702 cm3 mais d'un 848 cm3 avec deux carburateurs double corps inversés.
Etienne de Valance la met à la disposition du Musée du Mans où elle reste jusqu’en 2010.
A regret, l'age avançant, il décide de s'en séparer lors de la vente aux enchères organisée lors du Mans Classic.
Elle va cependant, au moins jusqu'en 2016, garder sa place au musée du Mans, mais semble avoir rejoint aujourd'hui une collection privée.
Abandon à la 14ème heure aux 24 Heures du Mans 1962 sur problèmes moteur avec Bernard Boyer et Guy Verrier . |
Seconde de sa classe à la course de côte du Mont-Dore 1962 avec Andrée Guilhaudin. |
Victoire de classe à la course de côte d'Urcy 1962 avec Andrée Guilhaudin. |
4ème de sa classe à la course de côte de Chamrousse 1962 avec Andrée Guilhaudin. |
11ème aux Coupes de Paris 1962 à Monthléry avec André Guilhaudin. |
20ème des 1000 Km de Paris 1962 avec André Guilhaudin et Alain Bertaut. |
Lors du Salon de Paris 1962, Panhard va présenter une version routière de la CD.
Civilisée et désormais baptisée Panhard CD, elle n'en reste pas moins une extrapolation directe des berlinettes de course.
Elle va être déclinée en deux versions, une "Grand Tourisme" motorisée par un Tigre de 848 cc à simple carburateur et donnée pour 165 km/h et une "Rallye" équipée de deux carburateurs donnée pour 180 km/h.
Des problèmes techniques vont retarder le début de la production mais 159 Panhard CD vont tout de même être produites entre avril 1963 et l’absorption de la marque par Citroën en 1965.