27 Mai 2020
Née au cœur de la bataille Ford/Ferrari, la #0844 a une histoire particulière. De berlinette d'Usine en 1966, elle va devenir châssis client, sous une autre forme, l'année suivante pour le compte de Luigi Chinetti et de son célèbre North American Racing Team, avant de terminer sa carrière sportive sous la forme d'une barquette CanAm, toujours sous les couleurs américaines.
Mais avant d'en arriver là, commençons par le commencement.
Suite à une saison 1965 difficile pour Ferrari avec la P2 et la montée en puissance de Ford avec l'apparition de la Mk II 7 litres aux 24 Heures du Mans 1965, Mauro Forghieri se remet au travail et va concevoir une des plus belles Sport-Prototypes jamais construite.
Il reprend de nouveau le principe du châssis tubulaire renforcé de panneaux d'aluminium dit "aéro", mais il y intègre cette fois-çi certains éléments de la carrosserie dans la partie centrale, créant ainsi une "quasi-monocoque".
Les voies sont élargies par rapport à la P2, mais les suspensions inspirées de de la Formule 1 sont reprises. La géométrie est cependant sensiblement modifiée pour pour tirer partie au mieux de jantes encore plus larges (8,5 pouces à l'avant et 9,5 à l'arrière) correspondant aux progrès effectués dans le domaine des pneumatiques.
On remarque également que les nouvelles jantes Dunlop en magnésium coulé ont un déport plus important, particulièrement à l'arrière, imposant de modifier les oreilles des papillons centraux de fixation qui doivent être rallongées pour rester accessible.
Coté moteur, Ferrari a décidé de ne pas suivre Ford dans la course à l'armement et reste fidèle au V12 4l.
Cependant Franco Rocchi va le retravailler.
Même si la distribution à quatre arbres à cames et deux soupapes par cylindre et le double allumage sont conservés, l'adoption d'un système d'injection indirecte Lucas en lieu et place des carburateurs oblige à une refonte quasi-complète de la partie haute du moteur.
La puissance passe ainsi à 420cv à 8200 tours/min.
Par manque de temps, la boîte n'est plus de fabrication Ferrari et a été remplacée par une ZF de fabrication allemande.
Les freins arrières sont montés "in-board" en sortie de boîte de vitesse.
Un nouvel embrayage tri-disques Borg and Beck a pris place entre le moteur et la boîte, le petite embrayage traditionnel en porte à faux ayant été jugé trop juste pour accepter le surcroît de puissance.
Pour la ligne de la nouvelle P3, Mauro Forghieri s'adjoint les service d'un ancien ferrariste qui a ses ateliers à Modène : Piero Drogo.
Le règlement régissant le Groupe 6 a été assoupli en termes de hauteur protégée, et les deux hommes vont collaborer pour l'exploiter au mieux.
Ils vont créer une auto toute en galbes, à la ceinture de caisse encore abaissée par rapport à la P2.
Les entrées d'air des freins arrières, de l’admission et du refroidissement de la boîte de vitesse sont désormais intégrées dans les portes, donnant naissance aux arêtes des ailes, le tout donnant une impression de sensualité incomparable.
L’inesthétique pare-brise "vitrine" de la P2 est remplacé par une demi bulle qui, de face, décrit un arc de cercle quasi parfait.
Selon Mauro Forghieri, "la fonction et l'esthétique sont deux domaines différents, mais lorsqu’ils s'accordent, les choses sont au mieux."
Par rapport à la P2, la P3 conserve l'empattement de 2,40m, mais perd 9 cm en longueur (4m17) et en hauteur (95 cm) et gagne près de 11 cm en largeur.
Le gain le plus important étant réalisé sur le poids qui selon les chiffres annoncés de 720 kg était inférieur de près de 100 kg par rapport à 1965.
La 330 P3 est annoncée à la conférence de presse du 12 décembre 1965 et la première assemblée, le spider #0846 est présentée en février 1966 à la presse dans la cours de la Drogo Carrozzeria Sports Cars à Modène.
En cette année 1966, l'Italie va être frappée par de nombreux troubles sociaux, notamment dans l'industrie métallurgique.
La construction et la préparation des prototypes Ferrari va en souffrir.
Prête trop tard, la P3 spider sera absente à Daytona et débutera aux 12 Heures de Sebring 1966.
Mike Parkes et Bob Bondurant font une pole canon aux essais et donnent beaucoup de fil à retordre aux Ford Mk II en course, avant que la boîte ne lâche, à trois heures de l'arrivée.
Autre signe des difficultés rencontrées par Ferrari pour préparer ses voitures, elles sont absentes aux Essais d'Avril des 24 Heures du Mans 1966.
Pourtant, une seconde P3, la berlinette #0844 a été achevée fin mars et a effectué ses premiers roulages sur l'autodrome de Modène.
C'est elle qui va donner sa première victoire à la P3 dans le cadre des 1000 Km de Monza le 25 avril.
Elle est confiée à John Surtees, à peine remis de son accident de Mosport et à Mike Parkes.
La P3 berlinette est différente du spider #0846 vue à Sebring dans sa partie avant car les radiateurs ont été modifiés.
Les deux pilotes anglais vont faire une course magnifique et l'emporter sur une piste rendue très piégeuse, l'intégralité de la course s'étant courue sous une pluie battante.
Le spider refait son apparition à la Targa Florio le 8 mai.
Il est confié à Lorenzo Bandini et Nino Vaccarella.
L'avant a été modifié de façon identique à la berlinette.
Bandini, gêné par une GTO qu'il essayait de dépasser, sort de la route dans le septième des dix tours et laisse la victoire à Porsche.
Les 1000 Km de Spa 1966 se courent le 22 mai.
Une fois de plus, une seule P3 est présente, la berlinette #0844.
Lors de la première séance d'essais, John Whitmore coiffe sur le fil la P3 et réalise le meilleur temps sur sa Ford Mk II Alan Mann, pour 1/10 de seconde.
Le lendemain, Mike Parkes fait monter les nouveaux pneus Firestone sur la P3 et abaisse son temps de la veille de plus de cinq secondes. Il signe la pole en 3'47"4, pulvérisant, officieusement, tout les records de la piste.
La course va vite tourner à la démonstration.
Parkes réussi à partir en tête et boucle le premier tour avec déjà cinq secondes d'avance sur la Ford Mk II, talonnée par la GT40 Essex Wire.
Elle ne sera jamais rattrapée accentuant son avance à un rythme allant jusqu'à 8 secondes par tour sur le second.
Dès le deuxième passage, Mike Parkes, très en verve, signe un 3'46"4, à 224, 204 km/h de moyenne, record absolu du circuit.
Comble de la désillusion chez Ford, la P3 ravitaille également 4 secondes plus vite.
Parkes et Scarfiotti vont gagner "facilement", avec un tour d’avance sur la Ford Mk II de Whitmore et Gardner. Ils ont mis un tour à tout leurs adversaires, au moins une fois.
Ils ont même roulé tellement vite qu'ils vont exclure du classement la Ferrari P2 de David Piper et la Matra de Rees et Servoz, qui, bien qu'arrivés, n'auront pas parcourues les 9/10ème de la distance réalisée par la Ferrari.
Quinze jours plus tard, la sixième manche du championnat a lieu au Nurburgring.
La seule P3 engagée est cette fois le spider #0846.
John Surtees survole les essais en signant un 8'31"9.
Il mène le début de course pendant les six premiers tours puis rentre aux stands, amortisseur gauche effondré.
Après réparation, il repart en trombe, avant que, quelques tours plus tard, l'amortisseur droit ne lâche à son tour.
La victoire revient à la Chaparral 2D de Phil Hill et Jo Bonnier.
Puis vient la dernière manche du championnat du monde, Le Mans.
Ford et Ferrari, avec deux victoires chacun sont à égalité, les 24 Heures vont donc être décisifs dans l’attribution du titre.
Face au rouleau compresseur des huit Ford Mk II alignées par la marque de Dearborn, Ferrari aligne seulement trois P3, dont la seconde berlinette, #0848, est neuve.
Le spider est confié aux bons soins du NART.
Aux essais, John Surtees se fâche avec Eugenio Dragoni et claque la porte de la Scuderia.
Mais le pire est encore à venir.
Sur #0848, Mike Parkes et Ludovico Scarfiotti réussissent à remonter à la seconde place, mais peu après minuit, le pilote italien ne peut éviter une CD en perdition à la sortie du Tertre Rouge et la belle italienne termine sa course contre les fascines.
Sur le spider #0846, Pedro Rodriguez et Richie Ginther sonnent la charge et passent en tête, mais la transmission les lâche peu après deux heure du matin.
Lorenzo Bandini et Jean Guichet, sur la berlinette #0844, sont encore en course. Ils vont voir le levé du jour mais la boîte ZF va rendre l'âme peu après huit heure du matin.
La débâcle est totale, d'autant que Ford signe le triplé et s'adjuge le titre mondial.
Il faut cependant relativiser, car dans les conditions de préparation des Ferrari liées aux grèves italiennes, les P3, presque toujours esseulées, se sont tout de même bien battues.
Mais la carrière sportive de #0844 ne s’arrête pas à la fin de la saison 1966.
Durant l'intersaison, elle est reconvertie en 412P (4 litres 12 cylindres), c'est à dire la version compétition client de la P3, destinée à remplacer la 365P (appellation officielle des P2/3) vieillissantes.
Les P3 utilisées en 1966 sont "rajeunies" et adoptent, à quelques détails près, la carrosserie de la nouvelle P4.
Elles conservent la boîte ZF en début de saison, mais un radiateur d'huile est rajouté pour la fiabiliser.
Contrairement à la 330 P4, les 412 P ne reçoivent pas les nouvelles culasses à 36 soupapes et reviennent à l'alimentation par carburateurs.
Pour la saison 1967, #0844 va être confiée au NART.
Il semble d’ailleurs qu'elle ait également participé à la séance d'essais de décembre 1966, financée par Firestone, et qui a permis à Ferrari de tester sa nouvelle P3/4, #0846, modifiée pour recevoir une moteur type P4, sur le circuit de Daytona.
La saison démarre le 4 février 1967 avec les 24 Heures de Daytona.
#0844 y est pilotée par Pedro Rodriguez et Jean Guichet. Elle participe au triomphe Ferrari en assurant la troisième place.
Le reste de la saison va être moins glorieux, se soldant par un abandon sur sortie de piste aux 1000 Km de Monza et un autre abandon aux 24 Heures du Mans où la voiture connut des problèmes de refroidissement et finit par crever un piston à la onzième heure.
Il est à noter qu'à l'occasion des 24 Heures du Mans 1967, #0844 avait une superbe déco américaine, blanche et bleue aux couleurs du NART.
Il est d’ailleurs dommage que sont propriétaire actuel ne l'ait pas faite restaurer dans cette livrée.
A la suite des fantastiques 24 Heures du Mans 1967, lors des desquelles Dans Gurney et A.J. Foyt ont battu tout les records de l'épreuve sur la Ford Mk IV, la Commission Sportive Internationale décide, de façon abrupte et unilatérale, de bannir ces magnifiques Sport-Prototypes du Championnat du Monde dès 1968.
Une fois la colère d'Enzo Ferrari un peu retombée, la Scuderia tente de continuer à faire rouler ses autos.
Durant l'été 1967, #0844 est une nouvelle fois modifiée.
Comme deux des trois P4, la 412 P va être transformée en spider Groupe 7 à la demande de Luigi Chinetti et devenir la "NART-Canada".
Le radiateur d'huile est transféré à l'arrière et l'avant de la voiture est effilé. Étonnamment, elle conserve deux phares sous un carénage réduit.
L'arrière est raccourci, débarrassé de sa roue de secours et des coffres à bagages obligatoires en Groupe 6.
Le pavillon est purement supprimé, remplacé par un saute-vent qui enserre tout l’habitacle.
Un simple arceau tubulaire protège le pilote.
Le capot arrière devient plat et sera vite équipé d'une prise d'air dynamique.
Chris Amon fait faire ses premiers tours de roues à la NART-Canada début septembre 1967 sur l'autodrome de Modène.
La voiture est alignée en course le 17 lors de la seconde manche du Challenge CanAm à Bridgehampton.
Malgré tout son talent, Ludovico Scarfiotti ne peut faire mieux que la septième place, la NART-Canada manquant de puissance face au monstrueuses Lola et McLaren Groupe 7 souvent motorisées par des V8 Chevrolet 5,9l préparés chez Traco.
Elle fini à deux tours de la McLaren de Denny Hulme.
Une semaine plus tard, à Mosport, une crevaison suivit d'un violent choc avec les rails vont mettre fin à l'aventure américaine de #0844.
Elle va encore faire quelques courses jusqu'en 1971 pilotée par Bill Cooper, mais sans grand succès et elle va rester dans cette configuration, changeant plusieurs fois de propriétaires au durant les trois décennies suivantes.
Au cours de l'hiver 1997/98, #0844 quitte les Etats-Unis pour l' Angleterre où elle est restaurée en version berlinette 412 P chez David Piper.
Elle passe par le Japon puis retourne aux USA avant qu'Harry Leventis ne la ramène en Angleterre et ne la conserve une dizaine d'années, l'alignant régulièrement lors de courses historiques.
Elle change de nouveau de main en 2010 et part en Allemagne dans la collection de Friedhelm Loh qui semble l'avoir conservée depuis.
Il semble d'ailleurs également qu'elle y côtoie un autre bijoux crée à Maranello à la même période, la Ferrari 330 P4 #0858.
En tant que Ferrari P3 : |
- Victoire aux 1000 Km de Monza 1966 avec John Surtees et Mike Parkes. |
- Victoire aux 1000 Km de Spa Francorchamp 1966 avec Mike Parkes et Ludovico Scarfiotti . |
- Abandon aux 1000 Km du Nurburgring 1966 (Amortisseurs cassés) avec John Surtees et Mike Parkes |
- Abandon aux 24 Heures du Mans 1966 (moteur) avec Jean Guichet et Lorenzo Bandini. |
En tant que Ferrari 412 P : |
- 3ème aux 24 heures de Daytona 1967 avec Pedro Rodriguez et Jean Guichet. |
- Abandon aux 1000 Km de Monza 1967 (accident) avec Pedro Rodriguez et Jean Guichet. |
- Abandon aux 24 Heures du Mans 1967 (moteur) avec Pedro Rodriguez et Giancarlo Baghetti. |
En tant que Ferrari 412 P spider Groupe 7: |
- 7ème au CanAm Bridgehampton 1967 avec Ludovico Scarfiotti. |
- Abandon au CanAm Mosport 1967 (accident suite à une crevaison) avec Ludovico Scarfiotti. |
- Diverses courses Groupe 7 avec Bill Cooper jusqu'en 1971, sans résultats notables. |
Ferrari 250 LM #5907 - Passion et Mans
La Ferrari 250 LM #5907 au Tertre Rouge lors du Mans Classic 2016. A partir de 1962, la classement du Championnat du Monde des Voitures de Sport est réservé aux Grand Tourisme. Grace à la 250 GT...