24 Juin 2020
Apparue dans le courant de saison 1967, la Mirage M1 est une variante importante dans la généalogie des Ford GT40. Cette "évolution" préfigure les futures GT40 Wyer qui vont apporter le titre mondial à Ford en 1968 et permettre à marque de Dearborn de remporter deux victoires supplémentaires aux 24 Heures du Mans.
Mais n'anticipons pas et revenons au début de l'histoire.
A la fin de la saison 1966, les GT40 préparées par John Wyer remportent le titre en catégorie Sport.
Ce résultat, dans l'euphorie de cette année de réussite pour Ford, qui a également remporté le titre en Prototype + 2000 et réalisé le grand chelem (24 Heures de Daytona, 12 Heures de Sebring et 24 Heures du Mans), permet un retour en grâce de John Wyer auquel Ford propose dans la foulée de racheter la F.A.V. à des conditions avantageuses.
Cependant, l'ancien directeur de l'écurie Aston Martin doit s'engager à assurer le suivi des GT40 (construction en cours, assistance des clients et production des Mk III de route).
Ainsi, le 2 décembre 1966, la nouvelle société est enregistrée par la Britain's Companies House et le 1er janvier 1967, Ford Advanced Vehicles, à Slough, devient officiellement la J.W. Automotive Engineering.
John Wyer s'est associé avec John Willment qui sera chargé de la maintenance des GT40.
De son côté, Wyer va se charger de la partie compétition, avec toujours la même idée en tête, fiabiliser la GT40 Mk I et prouver son potentiel.
Pour lui, la victoire de Ford au Mans en 1966 est peu représentative et aurait pu être obtenue sans la débauche de moyens qu'elle a nécessité.
Pour ce faire, il récupère un projet inabouti dans les cartons de Ford Angleterre.
En effet en 1966, Alan Mann fait courir des GT40 allégées et modifiées qui vont montrer un certain potentiel.
Le responsable technique de l'opération, Len Bailey, à même imaginé une évolution de la GT40 basée sur ces châssis.
Mais l'intégration d'Alan Mann au programme 7 litres a mis le projet en sommeil et il n'a pas dépassé le stade de l'étude sur maquette en soufflerie.
Wyer réussi à racheter l'étude complète de cette auto et à convaincre Len Bailey de retourner à Slough pour développer son projet.
Cette évolution de la GT40, qui deviendra la Mirage M1 se distingue par une carrosserie visant à réduire la surface frontale. Ainsi, le pavillon est beaucoup plus réduit et équipé de prises d'air NACA au centre et sur les cotés pour remplacer les ouïes latérales de la GT40. Le capot arrière est également retravaillé, affiné et pourvu de nombreuses sorties sur l'arrière pour évacuer l'air chaud.
Lors de test en soufflerie, le Cx de la Mirage sera mesuré à 0,33, contre 0,35 pour une Mk I.
La carrosserie en elle-même est très allégée et permet un gain d'une cinquantaine de kilos par rapport à une GT40 "classique". Ajouté à la cure d'amaigrissement du châssis, le gain pondéral s’élève, au final, à une centaine de kilos.
Du coté de l'équipe, John Wyer recrute également.
Il va s'attacher les services de David Yorke, comme directeur sportif, John Horsman, pour développer la voiture en coopération avec Len Bailey et de Ermano Cuoghi, comme chef mécanicien.
Concernant le financement, Wyer se rapproche de l'un de ses clients, Grady Davis, qui lui avait proposé un jour un projet d'engagement sportif avec une compagnie pétrolière américaine, la Gulf Oil, qui cherche a valoriser son image en utilisant la compétition.
Davis retourne aux Etats Unis avec une GT40 bleu nuit et un projet de partenariat.
Il se montre si convaincant auprès des administrateurs de la Gulf que ceux-ci envisagent même une réelle association avec l'écurie, proposant de décorer les voitures à ses couleurs, plutôt que d'y apposer de simples stickers.
Cela est courant aux USA à l'époque, mais c'est révolutionnaire en Europe dans le monde de la course automobile.
Les couleurs de Gulf (bleu nuit et orange) sont envisagées, mais Davis fixe son choix sur celles d'une petite compagnie californienne qui vient d'intégrer la holding, la Wilshire Oil, bleu pale et orange.
Ces couleurs vont d'ailleurs devenir si célèbres sur les voitures de John Wyer que la Gulf va finir par les adopter, mais cela est une autre histoire.
John wyer tiens absolument à engager un jeune pilote belge de 22 ans, un certain Jacky Ickx qui a fait une excellente saison 1966 sur les GT40 Essex Wire.
En échange, Davis lui "impose" de recruter un pilote connu aux Etats Unis. Ce sera Dick Thompson, un spécialiste des Corvette et le poulain du vice président de la Gulf Oil.
Sur le papier, tout est calé, reste à voir ce qui va se passer en piste.
Le projet ayant été lancé tardivement, les Mirage ne sont forcément pas prêtes pour les deux manches d'ouverture du championnat : les 24 Heures de Daytona et les 12 Heures de Sebring.
C'est donc la propre GT40 de Grady Davis, P/1049, une "street version" loin d'être aussi sage qu'elle en à l'air, puisqu’elle est équipée d'un moteur et d'une transmission course, qui va assurer l'intérim.
Ickx et Thomson signent une magnifique sixième place à Daytona et casse le joint de culasse à Sebring.
Les Mirage sont enfin prêtes pour les essais du Mans, le 9 avril. De justesse, puisqu'elles arrivent dans la Sarthe juste après quelques essais de roulage à Snetterton.
C'est Richard Attwood et David Piper qui vont se charger de piloter M/10001 et M/10002 pour ces Essais d'Avril.
La prestation de M/10002 sera de courte durée puisque David Piper sort dès son premier tour lancé suite à un problème de frein.
Il réussi à rejoindre les stands, ce qui explique son temps à plus de trois minutes de Bandini.
Durant ces essais, les Mirage sont équipées du 4,7 litres conventionnel.
Attwood signe un 3'38"2 sur M/10001, à 2 secondes de la Mk IV, mais surtout 12 secondes devant la meilleure GT40.
Quinze jours plus tard, à Monza, les Mirage sont équipées d'un 5 litres. Étonnamment, John Wyer qui réclamait ce moteur depuis des lustres a été enfin entendu.
Les deux voitures se placent en troisième ligne aux essais mais les Mirage souffrent sur l'anneau bosselé de Monza.
Ickx et Rees vont abandonner sur panne d'allumage sur M/10001. Piper et Thompson finissent neuvième sur M/10002 après une course difficile.
Le 1er mais 1967, un nouveau châssis, le M/10003, équipé d'un 5,7 litres préparé chez Hollman et Moody est aligné aux 1000 Km de Spa pour Ickx et Rees.
M/10001, équipée d'un 5 litres est confié à Thompson et Piper.
La course va se dérouler sous un déluge.
Piper et Thompson abandonnent sur sortie de route.
L'américain rejoint Ickx sur la Mirage de pointe.
Le pilote belge, toujours à l'aise sous la pluie, se ballade dans son jardin ardennais et maîtrise la course après avoir pris le commandement avec autorité.
Les deux compères vont l'emporter avec un tour d'avance sur la Porsche 910 de Jo Siffert et Hans Herrmann .
Après cette victoire, Ford demande à John Wyer de charger le nom de l'écurie en Ford Mirage pour pouvoir récolter les points acquis, mais la CSI s'y oppose.
La fin du championnat va être beaucoup moins glorieuse pour les Mirage.
Thompson détruit M/10002 lors des essais des 1000 Km du Nürburgring, Ickx et Attwood abandonnent sur double crevaison.
Les 10 et 11 juin se courent les 24 Heures du Mans
Pour l'occasion, Jacky Ickx est associé à Brian Muir sur M/10003, Dick Thompson à David Piper sur M/10001.
Les deux Mirage vont connaitre des problèmes de fiabilité inquiétant avec les 5,7 litres aux essais et décision va être prise de monter des 5 litres pour la course, moins puissants (390cv au lieu de 460cv) mais réputés moins fragiles.
Pourtant, cette précaution n'aura aucun effet.
Ickx prend un très bon départ, pointant au 3ème rang, mais son moteur commence à surchauffer et il rétrograde au 16ème rang à la fin de la première heure.
Une durit va être changée durant l'heure suivante, mais Ickx doit s’arrêter de nouveau pour ravitailler en eau.
Muir prend le relais mais va rentrer au cours de la troisième heure, moteur cassé (bielle ou joint de culasse, les sources diffèrent).
Sur M/10001, Piper et Thompson ne sont guère plus chanceux.
Après un départ chaotique,la n°14 rentre très tôt pour faire refixer son capot avant et repart attardée
Ses deux pilotes cravachent pour récupérer le temps perdu et remontent 18ème après deux heures de course.
Mais le moteur de M/10001 commence lui aussi à chauffer et le V8 finira par rendre l'âme peu après 20 heure.
Pedro Rodriguez, associé à Thompson, sort de la route au Brands Hatch 500.
Les Mirage vont renouer avec la victoire en Suède lors de deux manches hors championnat.
Ickx, associé à Paul Hawkins remportent les 1000 Km de Paris en octobre sur M/10003.
Un mois plus tard, avec Brian Redman, ils remportent les 9 Heures de Kyalami sur M/10001.
Suite à la décision abrupte de la CSI et comme tous les autres prototypes dépendants de l'annexe J, les Mirage vont être "bannies" à la fin de la saison 1967.
Pourtant les deux châssis survivants vont continuer leur carrière.
Durant l'intersaison, M/10003 va être transformée pour correspondre au nouveau règlement Sport 5 litres et devenir la première des glorieuses GT40 Gulf Wyer, la P/1074.
Elle va servir de base à la construction des GT40 suivantes de l'écurie anglaise et remportera les 1000 Km de Monza 1968 aux mains de David Hobbs et Paul Hawkins.
M/10001 va être la seule à conserver sa configuration M1 originelle.
Jacky Ickx et David Hobbs vont remporter les 9 Heures de Kyalami 1968 à sont volant pour le compte de l'écurie Wyer avant qu'elle ne soit vendue à Malcolm Guthrie
L’anglais va la faire courir en Afrique du Sud et lors de certaines manches Interserie durant la fin de saison 1968 et la saison 1969.
On trouve encore sa trace en course en Interserie en Angleterre pilotée par Anthony Hutton en 1973.
Comme nous l'avons vu, le châssis M/10002 a été détruit par Dick Thompson lors des essais des 1000 Km du Nürburgring.
Selon John Wyer et John Horsman, le châssis a été cafuté.
Pendant un temps, Ronnie Spain a pourtant envisagé qu'il ait servi de base à la célèbre P/1075, mais l'expert a depuis changé d'avis.
La M/10002 de la collection de Roald Goethe est équipée d'un châssis neuf réalisé chez Gelscoe.
Elle a été reconstituée avec de nombreuses pièces d'origine provenant de 10002, notamment la quasi totalité de la carrosserie.
Il est difficile d'avoir des infos sur cette auto, le propre de la collection Rofgo étant de présenter des voitures "entièrement d'origine".
Il n'en reste pas moins qu'elle est une auto magnifique et un véritable morceau d'histoire, à son niveau.
- 32ème des Essais d'Avril des 24 Heures du Mans 1967 avec David Piper |
- 9ème au 1000 Km de Monza 1967 avec David Piper et Dick Thompson. |
- Non partante aux 1000 Km du Nürburgring 1967 avec David Piper et Dick Thompson. (accident aux essais) |
L'intégralité des photos illustrant cet article ont été prises lors de l'exposition "Blue and Orange" au Musée Automobile de la Sarthe durant les 24 Heures du Mans 2018.
Je présente tout mes remerciements à John S Allen pour la qualité des informations qu'il me communique régulièrement et sa grande disponibilité à mon égard.